đ My Heart Sutra: A World In 260 Characters
Jâai dĂ©couvert le Sutra du Coeur en 2018 lorsque lâon mâa transmis une vidĂ©o du moine zen Kanho Yakushiji1 rĂ©citant sur un air de guitare acoustique, accompagnĂ© de quelques autres instruments. Sans forcĂ©ment en comprendre les paroles (et comment le pourrais-je, elles sont en Chinois), plusieurs mots rĂ©citĂ©es âĂ la Japonaiseâ se sont vite imprĂ©gnĂ©s dans mon esprit2, et jâai vite mis cette chanson en boucle dans mes Ă©coutes musicales, les diverses versions3 me permettant dâavoir le sutra en boucle dans mes oreilles sans me plonger dans une overdose de rĂ©pĂ©tition.
A force de recherches sur le sujet, jâai dĂ©couvert que le traducteur dâun livre que jâavais dĂ©jĂ lu avait aussi Ă©crit sur sa fascination pour ce court texte en 260 caractĂšres. Le hasard faisant bien les choses, câest lui qui a clos mes lectures de 2024.
Un Sutra en 260 caractĂšres
Le livre commence par une rĂ©miniscence de lâauteur: bien quâayant eu lâhabitude des voyages en avion, une avarie lors dâun vol entre le Japon et Los Angeles lâavait plongĂ© dans lâinquiĂ©tude et, profane Ă toute religion, il sâĂ©tait mis Ă penser au Sutra du Coeur. A partir de cette seule introduction, jâai dĂ©jĂ pu sentir une fraternitĂ© totale avec lâauteur.
Le livre se veut Ă la fois une rĂ©flection personnelle de lâauteur sur son histoire avec le Sutra (lui lâa dĂ©couverte lors de rĂ©citations par un poĂšte de la Beat Generation4), le rapport âgĂ©nĂ©ralâ des civilisations Japonaises et Chinoises envers ce Sutra (disons que câest le âpater nosterâ local), et sâengouffre ensuite dans lâhistoire du Sutra.
Le Sutra de Son Goku
La quantitĂ© dâinformations rĂ©unies et distillĂ©es est parfois difficile Ă encaisser, et jâai parfois sautĂ© des paragraphes entiers. Mais tandis que lâauteur revenait sur une Ă©niĂšme pĂ©riode de la vie du moine Xuanzang5, qui âramenaâ le Sutra en Chine depuis lâInde, celui-ci entama un nouveau chapitre, sobrement intitulĂ© âMonkeyâ. Avant mĂȘme de lire une rĂ©vĂ©lation qui aurait sur moi lâeffet dâune bombe, mon cerveau avait dĂ©jĂ reliĂ© les Ă©lĂ©ments et sentait venir la surprise:
Lâhistoire de la pĂ©rĂ©grination de Xuanzang en Inde Ă©tait si populaire quâelle en devint une lĂ©gende populaire. PrĂšs de mille ans plus tard, au seiziĂšme siĂšcle, elle fĂ»t immortalisĂ©e dans un roman intitulĂ© âLa PĂ©rĂ©grination vers lâOuestâ.
â Frederik L. Schodt, extrait de My Heart Sutra: A World in 260 characters, traduit librement
JâĂ©tais dĂ©jĂ assez familier du âVoyage en Occidentâ6 et de son hĂ©ros Sun Wukong qui Ă©tait trĂšs connu en France sous le nom de Son Goku7, mais ses aspects fantastiques mâavaient toujours empĂȘchĂ© dâimaginer une seule seconde une origine rĂ©elle Ă cette histoire.
Une autre surprise viendra du lien fait par lâauteur entre le Sutra et la chanson âImagineâ8, etâŠhĂ©, ça se tient.
Le vide est la forme, la forme est le vide
Pour un occidental, et plus encore pour lâathĂ©e convaincu que je suis, le sens du Sutra du Coeur peut ĂȘtre compliquĂ© Ă percevoir. En rĂ©alitĂ©, et comme ce livre le rĂ©pĂšte, sâil y a bien une traduction, il y a des interprĂ©tations.
Le Sutra rĂ©pĂšte plusieurs fois les sons ă” et ă, sous les caractĂšres äž et çĄ. Si le premier est appris en premiĂšre annĂ©e de Japonais et signifie âen dessous deâ, le second est un peu plus complexe mais je lâaime bien: il indique un concept de nĂ©gation et se retrouve dans plein de mots complexes mais qui me plaisent comme par exemple âzĂ©ro gravitĂ©â (çĄéć) oĂč il est la nĂ©gation de la force du poids, mais aussi âlâinfiniâ (çĄé§) oĂč il est cette fois la nĂ©gationâŠdes limites.
Ici, les nĂ©gations se retrouvent dans (tous) les Ă©tats: ni nĂ© ni terminĂ©, ni sale ni propre, ni en augmentation ni en diminution. Elles se retrouvent dans les sens et les Ă©lĂ©ments: pas dâyeux, dâ oreilles, de nez, de langue, de corps, ni dâesprit, pas de couleur, de son, de gout, de toucher, ni dâĂąme. Pourtant, comme le rappelle le livre: les nĂ©gations du Sutra ne sont pas un appel au nihilisme, mais Ă une absence dâĂ©tat.
Le principe du Sutra est que la forme est le vide, et que le vide est la forme. Si câest un principe auquel on revient assez souvent dans le Bouddhisme et lâidĂ©e de âfaire un avec toutâ, ce nâest pas vraiment celui auquel jâadhĂšre.
A chacun son Sutra du Coeur
Je ne suis pas totalement sĂ»r de quel sens je donne personnellement Ă ce Sutra, au-delĂ dâaimer lâĂ©couter lorsquâil est mis en musique9. Je pense que jây apprĂ©cie une idĂ©e dâinstabilitĂ© des choses: lâunivers existe autour de nous et change Ă chaque instant, il faut donc avancer avec et vivre.
Le vent se lĂšve! . . . il faut tenter de vivre!
â Paul Valery, Le CimetiĂšre marin (1920)
Je vous souhaite Ă tous une bonne et heureuse annĂ©e 2025. Pour ma part, jâespĂšre pouvoir cette annĂ©e rĂ©citer le Sutra du Coeur dans un temple Japonais.
Monkâs acoustic cover of Heart sutra live ver. / Kanho Yakushiji Kissaquo ↩︎
Le systĂšme dâĂ©criture Japonais Ă©tant dĂ©rivĂ© du Chinois (câest une longue histoire), il nâest pas Ă©tonnant que jâaie aisĂ©ment reconnu le son ăă, soit une lecture alternative du caractĂšre symbolisant le coeur. Câest cette lecture qui est utilisĂ©e dans le prĂ©nom de Kenshin, hĂ©ros du manga Kenshin le vagabond. ↩︎
Jâaime beaucoup la âblue maple mixâ de son album Heart Sutra / èŹâè„âćżâç” (Remixed) Vol. 1. ↩︎
En lâoccurence, Allen Ginsberg ↩︎
Je prĂ©fĂšre âLe Voyage en Occidentâ, mais Wikipedia prĂ©fĂšre employer La PĂ©rĂ©grination vers lâOuest. ↩︎
Son Goku est le hĂ©ros du cĂ©lĂšbre manga Dragon Ball. ↩︎
Imagine est une chanson co-Ă©crite par John Lennon et Yoko Ono, dont les paroles invitent lâauditeur Ă imaginer un monde âsans paradis, sans enfer, sans pays, sans religions, sans possessions, sans faimââŠÂ ↩︎
Notamment dans la bande-originale du film Godzilla: King of the Monsters par Bear McCrary, oĂč le chant est utilisĂ© comme thĂšme de Ghidorah. ↩︎