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🎬 Look Back (Le Film)

Le 19 Juillet 2021, profitant de la pause que lui accordait la fin de la premiĂšre partie de son manga Ă  succĂšs Chainsaw Man, l’auteur Tatsuki Fujimoto publiait le one-shot Look Back, et celui-ci avait vite Ă©tĂ© traduit par l’éditeur Jump1 dans plusieurs langues, le rendant accessible en ligne au monde entier. La date de publication coĂŻncidait avec celle de l’incendie criminel des locaux de Kyoto Animation deux ans auparavant2, et les lecteurs fĂ»rent surpris de voir que ce qui aurait pu n’ĂȘtre qu’un sombre hasard du calendrier se rĂ©vĂ©lait ĂȘtre un point central de l’histoire.

Le manga

Si Tatsuki Fujimoto s’est fait connaĂźtre pour Chainsaw Man, dont le succĂšs (mĂ©ritĂ©) a enflammĂ© la planĂšte, ici, il n’est plus question de pouvoirs, de dĂ©mons,
 L’auteur se dĂ©fait de ces vĂȘtements d’apparat et revient Ă  la rĂ©alitĂ©. Le manga s’ouvre sur une salle de classe banale, oĂč une enfant, Ayumu Fujino, dessine des gags en quatre cases3 pour le journal de l’école. Son professeur lui demande l’autorisation pour donner la moitiĂ© de la place de sa page Ă  une Ă©lĂšve recluse4: Kyomoto. Avec arrogance, Fujino accepte: qu’est-ce qu’une recluse pourrait dessiner d’aussi bien qu’elle, si elle n’a mĂȘme pas la force de venir Ă  l’école? Les prouesses en dessin de l’élĂšve recluse mĂšneront les deux Ă©lĂšves Ă  former un duo de dessinatrice et publier leurs premiers mangas, jusqu’à ce que l’éditeur leur propose une sĂ©rie rĂ©guliĂšre. Tandis que Fujino acceptera, Kyomoto prĂ©fĂ©rera aller en Ă©cole d’art5, afin de parfaire sa contribution au duo, mettant temporairement fin Ă  leur collaboration.

Quelques temps aprĂšs, le drame Ă©clatera: Kyomoto fait partie des victimes d’une tuerie de masse qui a eu lieu dans son Ă©cole. DĂ©vastĂ©e, Fujino se rend aux funĂ©railles de son amie et rĂ©alise que sans ses dessins, son amie ne serait jamais sortie de sa chambre et serait toujours envie. De rage, elle dĂ©chire en morceaux le premier gag qu’elle avait dessinĂ© pour son amie. Un morceau de la premiĂšre case, contenant le texte “Ne sors pas!” glisse de ses doigts, et se faufile sous la porte de la chambre de Kyomoto.

Dans un autre univers, une Kyomoto encore enfant et sur le point de rencontrer Fujino voit apparaĂźtre sous sa porte un bout de papier qui l’enjoint Ă  ne pas sortir. Surprise, et sans le contexte du gag original, elle suit l’ordre intimĂ© par le papier, et rate sa rencontre avec Fujino, avortant l’existence de leur duo, et mettant les deux filles sur des chemins diffĂ©rents.

Le manga, toujours

Je pourrais Ă©crire la suite de l’histoire, mais c’est gĂ©nĂ©ralement Ă  partir de ces pages que je me mets Ă  pleurer. Aussi, j’encourage tout le monde Ă  lire Look Back pour dĂ©couvrir par eux-mĂȘmes les multiples beautĂ©s de cette oeuvre.

Le talent d'expression de Fujimoto est indéniable

DĂšs sa sortie, le manga est encensĂ© par tous: les lecteurs, les pairs de Fujimoto,
 En 143 pages, Fujimoto a mis sa personne Ă  nu. Si l’auteur donne Ă  son duo d’hĂ©roine le nom de plume “Kyo Fujino”, il est Ă©vident que “Fujimoto”6 leur aurait mieux convenu. Comme leur crĂ©ateur, les deux dessinatrices sont des gĂ©nies, l’une dans le dessin, l’autre en rythme et storytelling. Ce mĂȘme gĂ©nie ressort des pages et du dĂ©coupage des cases. Le rythme est totalement maĂźtrisĂ© et chaque morceau de case s’exprime avec vie au lecteur.

Quelques mois aprÚs, ce court one-shot devient a droit à une sortie physique, et une adaptation cinématographique est annoncée dans la foulée.

Moyen after all

Le film est
moyen.

Si beaucoup autour de moi l’ont encensĂ© comme un chef-d’oeuvre, je n’arrive pas Ă  le voir comme tel. Le film a la malchance d’ĂȘtre pris le cul entre deux chaises: il ne doit pas s’éloigner de l’oeuvre originale, mais trop y coller en fait une oeuvre “inutile”. On trouve donc quelques tentatives d’apporter des choses, qui ne font pas toujours mouche.

La pire pour moi est l’adaptation des gags en 4-cases. Le film s’ouvre sur une mini-sĂ©quence qui allonge un gag de quatre cases/scĂšnes en une trentaine de secondes et moitiĂ© autant de plans, et si l’idĂ©e ne correspond pas Ă  mon attente, je peux reconnaĂźtre qu’elle est intĂ©ressante. Malheureusement, cet ajout se transforme presque en un aveu d’échec quand les gags suivant n’ont plus le droit Ă  des adaptations aussi poussĂ©es, passant mĂȘme l’un d’eux si rapidement que sa blague (dĂ©jĂ  un peu “niche” dans le manga) en devient Ă  peine comprĂ©hensible. Sans aller jusqu’à espĂ©rer des sĂ©quences dignes des sĂ©quences manga de FLCL7, le dessin enfantin et brouillon de Fujino empĂȘchant d’aller aussi loin, je m’attendais tout de mĂȘme Ă  quelque chose de plus constant.

Les autres ajouts du film quand Ă  eux me donnent presque tous l’impression d’ĂȘtre lĂ  pour servir la soupe aux lecteurs en manque de littĂ©ratie, tant ils exposent ce qui Ă©tait (pour moi) des Ă©vidences. Peut-ĂȘtre ma lecture originale du manga m’a rendu biaisĂ© sur ce point-lĂ .

Le seul ajout qui m’a convaincu est l’une des scĂšnes finales, qui (sans aller dans les dĂ©tails) se dĂ©marque de l’angle unique employĂ© par Fujimoto dans le manga, et en utilisant un second angle, ajoute un second protagoniste Ă  la scĂšne, ayant pour effet de lui ajouter un nouveau sens de lecture, mais sans altĂ©rer l’original.

Entendons-nous bien: le film n’est en rien mauvais, et mĂȘme si certain dĂ©ploreront le style d’animation “simpliste” qui fonctionne beaucoup en aplats de couleurs, ainsi que deux-trois mouvements de camĂ©ra chelous (vous n’imaginez pas combien j’ai dĂ©teste ces descentes depuis le ciel en balancier pour passer de “au dessus” Ă  “en face”), il reste beau et trĂšs bien rĂ©alisĂ©. Mais pour ma part, je ne peux rien y voir de plus.

Aussi, je relirai le manga, et vous encourage Ă  faire de mĂȘme.


  1. Un Ă©diteur dĂ©jĂ  mentionnĂ© ici ↩︎

  2. Incendie criminel de Kyoto Animation ↩︎

  3. Le “yonkoma” (littĂ©ralement “quatre cases”) est un style de manga humoristique, similaire dans le principe Ă  celui des comic-strips amĂ©ricains en 3 ou 4 cases, comme par exemple Snoopy ou Garfield. ↩︎

  4. Dans le texte original, une “hikikomori”. ↩︎

  5. Une Ă©cole qui ressemble Ă©trangement Ă  l’ UniversitĂ© d’art et de design du Tƍhoku, dont Tatsuki Fujimoto est un alumni! ↩︎

  6. Les prĂ©noms Fuji-no (è—€-野) et Kyo-moto (äșŹ-æœŹ) sont Ă©crits avec les mĂȘmes caractĂšres que le nom de famille de l’auteur, Fuji-moto (è—€-æœŹ). ↩︎

  7. L’animĂ© FLCL a eu droit Ă  deux scĂšnes de “manga animĂ©â€ du plus bel effet. ↩︎

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