đŹ Tokyo MER: The Movie
Au Japon, le parcours de vie dâune sĂ©rie TV Ă succĂšs est gĂ©nĂ©ralement dâavoir droit Ă un Ă©pisode spĂ©cial (on dit âun TV SPâ), puis Ă un film1. Câest le chemin pris par Tokyo MER, une sĂ©rie qui a apparemment eu droit Ă son petit succĂšs vu que dâaprĂšs certains trucs glanĂ©s ici et lĂ , la sĂ©rie Ă©tait mĂȘme diffusĂ©e par Disney+ avec sous-titres anglais quelque part dans le monde, comme quoi.
Le pitch de base est trĂšs simple et se porte facilement Ă une dĂ©clinaison infinie: la gouverneure de la prĂ©fecture de Tokyo lance lâunitĂ© Tokyo MER, pour âMobile Emergency Roomâ, du personnel hospitalier dĂ©diĂ© Ă intervenir (et opĂ©rer) lors de crises et autres urgences, et pour ceux qui ont vu la sĂ©rie Hippocrate et qui commencĂ© Ă tilter, oui, on parle bien dâun SMUR glorifiĂ© et un peu pimpĂ©.
La Tour Yokohama Infernale
Le film fait suite directe Ă la sĂ©rie, et abonde de flashbacks Ă celles-ci, histoire de remettre le spectateur dans le bain. Donc notre bon Dr. Kitami, chef de lâunitĂ© Tokyo MER est mariĂ©, sa femme est enceinte (je nâarrive pas y croire, ce personnage est trop lisse pour avoir des rapports sexuels, on parle vraiment dâun PUR Gary Stu2), et tandis quâelle fait du shopping dans la Yokohama Landmark Tower, un incendie criminel se produit, ce qui conduira Ă lâintervention de lâĂ©quipe de Tokyo MER, mais aussi de sa confrontation Ă Yokohama MER, lâĂ©quivalent local lancĂ© par le ministĂšre pour montrer quâon peut ĂȘtre âinnovantâ tout en restant dans les clous.
Je ne mâattendais pas Ă ce que le film entier se base sur ce seul incident, en fait je suis mĂȘme (agrĂ©ablement) surpris: tenir deux heures de film sur un incident grave sur un endroit, ce nâest pas chose aisĂ©e, et pourtant je nâai pas ressenti de longueurs. En fait, lorsque le Yokohama MER est introduit dans le plot, on sâattend Ă ce quâune premiĂšre mission les mette une premiĂšre fois face-Ă -face, Ă voir les forces et les faiblesses de chaque approche,⊠pour que le scĂ©nario rĂ©solve ça dans une mission finale oĂč chaque Ă©quipe pourra sâĂ©pauler mutuellement. Et il nâen est rien: une seule mission suffira Ă mettre tout le monde dâaccord, dans un manichĂ©isme trĂšs fort.
LâantithĂšse de Shin Godzilla
Dans Shin Godzilla de Hideaki Anno, une grosse partie du film est dĂ©diĂ©e Ă la bureaucratie et la question du service gouvernemental responsable lors de lâattaque dâun monstre gĂ©ant sorti de lâocĂ©an. Dans les cinq premiĂšres minutes de Shin Ultraman, toujours sur un scĂ©nario dâAnno, des camĂ©ras au placement alambiquĂ©s suivent lâĂ©tablissement dâun QG de rĂ©ponse, toujours avec ce robotisme plat.
Le pitch de Tokyo MER, sĂ©rie et film, baigne un peu Ă lâopposĂ©e de ça: vu que le systĂšme de santĂ© Japonais est totalement foireux3, la gouverneure de Tokyo lance le Tokyo MER, et bien sĂ»r les services âclassiquesâ, qui fonctionnent âĂ lâancienneâ, ne voient pas ça dâun bon oeil, Ă commencer par des pompiers bien-intentionnĂ©s (âNon Dr. Kitami, vous ne pouvez pas intervenir sur scĂšne ou opĂ©rer le patient tant que nous nâavons pas maĂźtrisĂ© lâincendieâ), ou des policiers qui font leur boulot (âNon Dr. Natsume, nous ne pouvons pas vous autoriser Ă prendre la place dâune otageâ). Tous se rangeront trĂšs vite Ă la philosophie du jeune, beau, sĂ©duisant, et presque trop parfait pour lâimaginer avec une femme, Dr. Kitami.
Une fois ces personnes acquises Ă sa cause, il ne restera plus quâun ennemi, le vrai mĂ©chant: le vilain politicien du MinistĂšre de la SantĂ©, et ses sbires dignes dâun cartoon, et dont lâespoir premier est que lâĂ©quipe de Tokyo MER Ă©choue dans sa mission de sauver les victimes, et pourquoi pas y perde la vie dans la foulĂ©e. Tout ça car le QG de rĂ©ponse mis en place par la gouverneure est bien trop efficace, et que cela jette le discrĂ©dit sur des services traditionnels qui ont fait leur temps. A ce niveau-lĂ de propagande, jâavoue que mĂȘme moi je ne sais plus si lâon pousse pour plus ou moins de bureaucratieâŠ
Les Power Rangers de la médecine
Lorsque le film sâouvre sur une scĂšne dâavion en feu au milieu de lâaĂ©roport de Narita (ah bah tiens, parfait pour moi ça), câest le chaos qui rĂšgne, et celui-ci est progressivement rompu par des gros plans silencieux sur une pair de Nike(TM) qui courent au milieu des passages Ă©vacuĂ©s. Le Dr. Kitami (et son Ă©quipe) est sur lĂ , et je peux vous jurer que le plan qui le rĂ©vĂšle est digne dâun plan de Captain America dans le MCU. Que lâon soit dâaccord ou non avec sa philosophie (âLe mĂ©decin doit-il se mettre en danger pour sauver plus de vies?â), dont je ne connais pas la viabilitĂ© en milieu mĂ©dical, il est indĂ©niable que la franchise fait vraiment le choix dâen faire un hĂ©ros infaillible: ainsi, il se jette (avant les pompiers!) dans un avion en proie flammes, fait le triage des malades, et dĂ©cide dâopĂ©rer dans le MER alors que celui-ci bascule encore dans tous les sens pour Ă©chapper Ă lâexplosion imminente de lâavion.
A ce moment-lĂ , cela fait bien trois ans depuis que jâai vu la fin de la sĂ©rie et ma premiĂšre rĂ©action est de commenter Ă Marvin4 (car celui-ci mâa aimablement fourni les sous-titres du film) de la nanardise de cette saga. Et puis quelque chose dâautre me saute aux yeux lorsque le MER se transforme en salle dâopĂ©ration (oui, le MER est grand comme un appartâ Ă©tudiant) dans un jeu de plans trĂšs iconiques et probablement rĂ©utilisĂ©s tels quels depuis lâĂ©pisode 1: en fait, je suis face Ă une sĂ©rie de tokusatsu, et comme un Megazord ou un Kamen Rider, le MER a aussi ses âattaquesâ spĂ©ciales, et mĂȘme un QG dâoĂč viennent les ordres et qui aurait sa place dans nâimporte quelle sĂ©rie de super-hĂ©ros.
Ca devient trĂšs visible lorsque la team de Yokohama et celle de Tokyo se font face, chacune avec son uniformes colorĂ©, et quâils comparent leurs vĂ©hicules (âLe Y01 de Yokohama MER il est mieux Ă©quipĂ© que le T01 de Tokyo MER!â), mais ça devient vraiment probant lors des multiples âsauvetagesâ du film, oĂč une partie de lâĂ©quipe se retrouve en difficultĂ© et est sauvĂ©e Ă la derniĂšre minute par lâintervention soudaine dâun membre qui Ă©tait restĂ© derriĂšre. Ca atteint un espĂšce de somment oĂč une vingtaine de vĂ©hicules interviennent, et certains se transforment comme si jâĂ©tais un enfant Ă qui lâon essayait de vendre des jouets. Enfin, Ă la fin de chaque intervention, une voix dans le QG de lâĂ©quipe MER fait le dĂ©compte des blessĂ©s, pour toujours terminer par cette phrase magique: âVictimes: zĂ©ro!â.
Un nouveau film de Tokyo MER est prĂ©vu pour cette annĂ©e, et trĂšs franchement, je ne pense pas que la franchise ira plus loin, malgrĂ© son concept trĂšs facilement rĂ©utilisable (si Kamen Rider mâa appris un truc, câest quâon peut toujours trouver un dĂ©cor de vieux hangar dĂ©saffectĂ© dans lequel quelquâun se cassera une jambe, et que sais-je encore). En fait, malgrĂ© toute la sympathie que jâai envers le concept, et la bienveillance que jâai envers cette Ă©quipe mĂ©dicale filmĂ©e comme un show de super-hĂ©ros, jâai lâimpression que la sĂ©rie a dĂ©jĂ fait le tour des questions difficiles quâil fallait poser (genre: âFaut-il sauver une seconde fois le terroriste que jâai dĂ©jĂ sauvĂ© il y a dix ans en zone de guerre et qui vient juste de tuer la femme que jâaime?â), que les personnages ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© poussĂ©s dans leurs retranchements, et que vraiment, ils nâont plus rien Ă prouverâŠ
Mais qui sait, peut-ĂȘtre que comme dans Power Rangers, ils auront un nouveau vĂ©hicule et de nouvelles transformations pour la prochaine saison?
AprĂšs ça, les jeux sont faits, rien ne va plus: soit on termine lĂ , soit le filon est encore exploitable et on peut avoir droit Ă dâautres saisons, ou Ă une sĂ©rie de films. ↩︎
Pendant masculin de la Mary-Sue, le Gary Stu est un archĂ©type de personnage infaillible et excessivement bon dans tout ce quâil fait. ↩︎
La lecture de Say Hello to Black Jack ou de Team Medical Dragon peut Ă©clairer Ă ce sujet. ↩︎
Marvin Ringard, alias @Psoushi, est notamment lâauteur du Guide du Tokusatsu, un ouvrage dĂ©diĂ© au genre du Tokusatsu, que je vous recommande chaudement ↩︎