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📚 Le Dernier des Yakuzas

Jake Adelstein en a bien conscience : il ne s’en sortira pas vivant sans aide. AprĂšs avoir Ă©crit un article sur Tadamasa Goto, il a tout le Yamaguchi-gumi Ă  ses trousses. Partant du vieux principe selon lequel « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », Jake Adelstein engage un ancien yakuza, Saigo, qui appartenait Ă  la branche ennemie de Goto. En Ă©change ? Jake doit Ă©crire la biographie de son protecteur.

À partir de la vie de cet homme qui a connu l’ñge d’or des yakuzas, Jake Adelstein dresse une fresque Ă©pique de la mafia japonaise, des annĂ©es 1960 Ă  nos jours. C’est Le Parrain au pays du Soleil-Levant, cela commence sur fond de tatouages sophistiquĂ©s et se termine dans les milieux de la finance. Entre-temps, les yakuzas ont perdu leur sens de l’honneur.

Un peu marre de suivre des crimes de fiction, revenons un peu à des crimes réels.

L’histoire dans l’Histoire

A partir de la naissance de Saigo, en 1960, jusqu’à sa “retraite” du monde yakuza en 2008, Jake Adelstein retrace son le parcours qui l’a menĂ© dans le monde du crime. En plus de ce conte trĂšs personnel, il l’agrĂ©mente d’histoires plus gĂ©nĂ©rales sur l’Histoire des yakuzas, une histoire qui commencera par les premiers groupes violents, nĂ©s dans le sillon de la seconde guerre mondiale, et finira par traiter des premiers ministres qui ont Ă©tĂ© propulsĂ©s aux rĂȘnes du pouvoir par les groupes mafieux1.

A partir de lĂ , on dĂ©couvre des affaires criminelles que Saigo raconte de sa propre expĂ©rience, tandis que d’autres sont issues de rapport de police, ce qui parvient Ă  dĂ©crire un Ă©ventail assez large de l’influence qu’a pu avoir ce milieu mafieux au Japon. Le livre rappelle mĂȘme l’influence de ce milieu, qui fĂ»t parfois considĂ©rĂ© comme un second gouvernement
 Par exemple, en 2015, alors que je rendais visite Ă  un ami au Japon, dans le bar dont il Ă©tait co-propriĂ©taire, je lui posais soudain la question: “Au fait, et les Y-A-K-U-Z-A? Vu que t’as un biz’, ça marche comment?”. Il sourit doucement et me rĂ©pondit de la sorte:

A ton arrivĂ©e, je t’ai donnĂ©, comme Ă  tous mes clients, une serviette chaude pour t’essuyer le visage. Elles coutent 300 yens (environ 3€) piĂšce, et je ne peux pas les laver ni les rĂ©utiliser: je dois les acheter et les renvoyer Ă  une compagnie spĂ©cifique. Et d’ici une heure, je fermerais le bar et sortirais les poubelles: elles seront dans des sacs que je dois acheter Ă  une compagnie spĂ©cifique, et un homme, d’une compagnie que je paye, surveillera les poubelles pour s’assurer que personne ne fouillera dedans avant leur levĂ©e. Comme tu vois, il n’y a rien d’illĂ©gal lĂ -dedans, non?

Si la portĂ©e de telles pratiques est Ă©vident pour tout le monde, au Japon, cette “taxe” est loin de l’image du racket des films de mafieux Ă  l’italienne, et elle est “acceptĂ©e” par tous, de la mĂȘme maniĂšre que le McDo oĂč je travaillais employait un agent de sĂ©curitĂ© Ă  partir de minuit.

Entre romance et criminalité

Si Jake Adelstein n’a jamais cachĂ© son aversion pour les yakuzas2, j’apprĂ©cie beaucoup la maniĂšre dont il les a dĂ©crits dans ses prĂ©cĂ©dents livres, de maniĂšre trĂšs factuelle, sans y apposer son opinion ou sa vision, laissant le soin au lecteur de se forger un opinion Ă  partir des faits, une tĂąche assez facile tant certaines pratiques n’ont pas la moindre once d’humanitĂ© qui s’en dĂ©gage, allant jusqu’à assassiner des opposants
lors d’une cĂ©rĂ©monie de funĂ©railles.

De mĂȘme, conformĂ©ment Ă  son accord avec Saigo, l’auteur ne fait preuve d’aucune compassion envers celui-ci, et tous ses travers sont explorĂ©s sans fard. On dĂ©couvrira donc que si certains groupes ont en effet fait preuve d’humanisme et de charitĂ© en Ă©tant les premiers Ă  apporter de l’aide humanitaire Ă  des zones sinistrĂ©es aprĂšs un tremblement de terre, ou que d’autres interdisaient formellement le commerce de drogue ou le racket, beaucoup ont fini accro Ă  la mĂ©thamphĂ©tamine, dont Saigo lui-mĂȘme.

Le livre se termine sur la fin de ce monde, dont l’existence devient de plus en plus caduque chaque annĂ©e, grĂące Ă  un systĂšme judiciaire qui parvient Ă  s’adapter face Ă  cette criminalitĂ©, tandis que le systĂšme politique arrive Ă  s’en dĂ©faire. Si le livre touche grandement la question de la place des yakuzas dans l’ordre Japonais, il ne spĂ©cule que peu sur l’aprĂšs de leur disparition, ainsi que de la criminalitĂ© violente dont leur seule prĂ©sence parvenait Ă  limiter l’influence. Le prochain livre de Jake traite de criminalitĂ© et de bitcoins. Peut-ĂȘtre qu’à la maniĂšre de films d’anticipations Japonais qui y voyaient un nouvel espace de vie et de communion3, le futur du crime Japonais se trouve sur la toile?


  1. Jake Adelstein est trĂšs prolifique sur Twitter quand Ă  son aversion envers l’ex-premier ministre Shinzƍ Abe. ↩︎

  2. Pour quelqu’un comme moi qui n’apprĂ©cie pas les expressions de colĂšre et de haine, le suivre sur Twitter est parfois une gageure tant il lui arrive de se lancer dans des diatribes sur certaines figures criminelles Japonaises
 ↩︎

  3. Par exemple, les films All About Lily Chou-Chou ou Suicide Club, mais aussi le livre Rouge est la Nuit. ↩︎

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