đș bref. 2
La premiĂšre sĂ©rie bref. va fĂȘter ses 14 ans cette annĂ©e. Lors de sa sortie en 2011, la sĂ©rie aux 82 Ă©pisodes de quelques minutes chacun prĂ©sentait un zeitgeist dâune certaine jeunesse urbaine dans laquelle je me retrouvais, et je nâĂ©tais pas le seul, vu le succĂšs qui fit de la sĂ©rie un phĂ©nomĂšne.
Mais au-delĂ de cet engouement, et de beaucoup dâĂ©pisodes vite oubliĂ©s1, lâĂ©pisode âfinalâ prĂ©sentait enfin Je2 reconnaĂźtre ses problĂšmes, sâattaquer frontalement Ă sa dĂ©pression, et devenir une personne meilleure. Pour preuve, un Ă©pisode ultĂ©rieur de la sĂ©rie Serge le Mytho, qui se dĂ©roule dans le mĂȘme univers, prĂ©sentait Je en couple et heureux.
Et y avait quoi dâĂ©crit sur le mot alors?
Câest pas ce quâest Ă©crit qui est important.
â Bref., Ă©pisode 80: Jâai fait une dĂ©pression.
Alors vraiment, aprĂšs tout ce temps, quel intĂ©rĂȘt de revenir Ă Je, quoi de plus Ă raconter? Et pour ces vingtenaires qui ont vieilli avec la sĂ©rie, quels stĂ©rĂ©otypes vont-ils se prendre dans la gueule en 2025?
Bref. Tout redémarre.
Pas de surprise, dĂšs le premier Ă©pisode, diffusĂ© sur YouTube, on retrouve Je Ă peu prĂšs lĂ oĂč on lâa laissĂ©: pas de meuf, pas de boulot, pas de fric, et pas spĂ©cialement de vision claire sur son avenir, ni mĂȘme dâespoir. La surprise vient du format, lorsquâau bout de quelques sketches, tout aussi dĂ©licieusement montĂ©s que par le passĂ©, on sâĂ©tonne que le gĂ©nĂ©rique de fin ne pointe pas le bout de son nez, et de dĂ©couvrir que lâĂ©pisode dure une quarantaine de minutes.
Câest le plus gros changement: cette sĂ©rie a la mĂȘme durĂ©e que la prĂ©cĂ©dente, mais au lieu de se dĂ©couper en 82 morceaux de quelques minutes, ce sera 6 morceaux de quarante minutes. La durĂ©e Ă©tant la mĂȘme, on pourrait croire quâil nây aura aucune Ă©volution sur lâoeuvre, mais bien au contraire, ce changement anodin permet Ă lâoeuvre et Ă ses idĂ©es de se laisser plus de temps pour se dĂ©velopper.
Bref. CâĂ©tait trop tard.
DĂšs le dĂ©but, alors mĂȘme que je re-voyais ce protagoniste re-tomber dans les mĂȘmes travers que par le passĂ©, je fulminais intĂ©rieurement: quâen Ă©tait-il donc de toute cette Ă©volution dans la premiĂšre sĂ©rie? Quel Ă©tait le besoin de bazarder ainsi toute lâĂ©volution du personnage? Et tout comme certains ont envie de crier âMais parlez-vous!!!â face Ă une rom-comâ qui abuse des problĂšmes de communication entre personnages pour broder son intrigue, mon cri Ă©tait plutĂŽt âVa voir un psy!â.
Dans la premiĂšre sĂ©rie, le protagoniste voyait bien un psy, une expĂ©rience vite dĂ©crite avec lâespĂšce de âdĂ©dain chicâ de la fiction envers la profession: le thĂ©rapeute Ă©tait rĂ©sumĂ© Ă des petits mots dâacquiescements et dĂ©biter le prix de la consultation, tandis que Je rĂ©pĂ©tait son schĂ©ma nĂ©vrotique sans que personne ne relĂšve rien. LâĂ©pisode se terminait sur une scĂšne âHaha trop drĂŽleâ qui nâavait rien Ă voir avec le concept de suivre une thĂ©rapie, mais servait juste Ă avoir une chute. Avec le recul, je me demande si cet Ă©pisode nâa pas ancrĂ© le stĂ©rĂ©otype du âpsy inutileâ chez les spectateurs de lâĂ©poque, et nâen a pas dĂ©tournĂ©s certains de soins qui auraient pu les aider.
Cette saison fait Ă peu prĂšs amende honorable: un personnage de psy est introduit qui, sans ĂȘtre totalement prĂ©sentĂ© dans une lumiĂšre positive, reste plus proche dâun vrai psy dans son rĂŽle et son apport au personnage, et un sourire a recouvert mon visage lorsquâil a utilisĂ© avec Je une mĂ©taphore que jâavais dĂ©jĂ entendu Jonathan Decker employer sur la chaine YouTube CinemaTherapy:
Bien sĂ»r, la femme de tes rĂȘves. Disons quâelle est sportive, intelligente, elle prend soin des autres, elle a de lâempathie, elle rigole,⊠Mais cette femme, si elle existe, pourquoi serait-elle intĂ©ressĂ©e par un homme qui ne sort pas de chez lui, ne prend pas soin de lui,âŠ?
â Jonathan Decker, Ă peu prĂšs de mĂ©moire
Bref. Câest une question de point de vue.
La sĂ©rie ne perd rien de son ton acerbe et a toujours des choses Ă raconter qui parleront Ă tout le monde. La rĂ©alisation est toujours aussi folle, donnant parfois lâimpression dâĂȘtre dans le meilleur dâun film de Michel Gondry3. Quand aux rĂŽles secondaires, ils sont ce quâil nous reste de plus proche de âlâesprit Canalâ, avec notamment Bertrand Usclat qui mâa fait hurler de rire.
La sĂ©rie semble un peu se dĂ©faire de son ton âparisienâ et se rapprocher un peu plus du style des sĂ©ries tĂ©lĂ©s amĂ©ricaines, avec une rĂ©fĂ©rence directe Ă The Office, et une Ă How I Met Your Mother4, qui semble ne servir que de sketch, mais reviendra de maniĂšre plus importante.
En fait, la construction de cette sĂ©rie fait penser Ă une toile dâaraignĂ©e: lĂ oĂč les 82 sketchs initiaux Ă©taient assez disparates, parfois Ă peine liĂ©s par la chronologie, et certains quâon aurait pu couper sans rien retirer Ă la sĂ©rie, ici, on ressent que tout sert, et que tous les Ă©lĂ©ments introduits se font et se feront des rappels entre Ă©pisodes. De fait, je nâai aucun souvenir de sketch âstand-aloneâ dans cette sĂ©rie-ci, et cela ne mâa pas manquĂ©.
Bref. Tout va bien.
Nous sommes Vendredi, et ce matin, comme tous les vendredis, je consultais ma psychiatre. En rĂ©flĂ©chissant Ă lâĂ©criture de cet article, jâai hĂ©sitĂ© Ă taper un bout de code pour rĂ©cupĂ©rer un dĂ©compte total des consultations que jâai effectuĂ©es depuis la premiĂšre, il y a trois ans. Ătre capable de voir le chemin que jâai pu parcourir mentalement depuis est une fiertĂ© quotidienne.
De la mĂȘme maniĂšre, suivre Je ĂȘtre incapable de voir prĂ©cisĂ©ment ce qui ne va pas procure une sorte de plaisir supĂ©rieur: âJâai pu voir ça de maniĂšre si Ă©vidente, pourquoi tu nâas pas vu ça depuis la saison prĂ©cĂ©dente? Ca va faire quinze ans, abruti!â. Un plaisir coupable doublĂ© de colĂšre: âQuâattends-tu? Ne vois-tu pas que tu rĂ©pĂštes ce schĂ©ma? Et si tu sais que tu as besoin dâaide, pourquoi ne te fais-tu pas aider? Quâattends-tu?â
Bien sĂ»r, Ă©tant longtemps passĂ© par la dĂ©pression, ma colĂšre sâexprime peu. Et lorsquâenfin Je voit ce qui ne va pas, je pousse un cri de joie comme un supporter de lâOM le 26 Mai 19935. En fait, il nây a pas de chemin prĂ©cis ou de recette magique, et deux livres aux propos trĂšs similaires nâauront pas le mĂȘme impact, ou auront besoin dâĂȘtre combinĂ©s,⊠Et de la mĂȘme maniĂšre, la rĂ©pĂ©titivitĂ© de Je, tout comme son Ă©piphanie, sont trĂšs normales. Parfois, on rĂ©pĂšte ses schĂ©mas toxiques jusquâĂ avoir le dĂ©clic.
Bref. CâĂ©tait sous mes yeux depuis le dĂ©but.
Quand la sĂ©rie commence par cet Ă©niĂšme cercle de rupture-chĂŽmage-dĂ©pression dĂ©jĂ vu, on redoute un peu dây avoir encore droit. Ce nâest pas le cas. Jâai lâimpression que lâidĂ©e que la sĂ©rie tente de mettre en avant est que mĂȘme si lâon tourne en rond entre bons et mauvais moments, il est toujours possible de bouger le centre de ce cercle pour le faire avancer toujours un peu plus, et la sĂ©rie fait emphase sur lâimportance dâapprendre Ă ĂȘtre heureux avec soi-mĂȘme si lâon veut ĂȘtre capable de dĂ©placer ce cercle.
Quand la sĂ©rie se termine, personne nâest dupe, et Je nâest pas devenu un paragon de vertu, mais cette fois, il avance avec ce quâil a appris.
Bref. Câest du sĂ©rieux ?
Sans lâĂ©pisode diffusĂ© sur YouTube, je ne pense pas que jâaurais donnĂ© la moindre chance Ă cette sĂ©rie, tant je mâattendais au pire. Mais nous sommes vraiment face Ă une Ă©volution, autant du personnage de Je, que du medium, qui a pris le temps de rĂ©flĂ©chir Ă lui-mĂȘme: si la sĂ©rie originale nâavait que trois narrateurs autres que Je, cette sĂ©rie enfonce un peu plus le clou pour le remettre Ă sa place en donnant la voix Ă plus de personnages, en espĂ©rant que cela attĂ©nue le syndrome du personnage principal6 que je soupçonne fort chez les spectateurs de la sĂ©rie.
Lâautre plus grosse surprise de la sĂ©rie est son traitement sans Ă©quivoque de la masculinitĂ©: si certains personnages et comportements clairement toxiques Ă©taient traitĂ©s avec lĂ©gĂšretĂ©, cela ne passe plus aujourdâhui, et sans tomber dans le prĂȘchiprĂȘcha mal Ă©crit, la sĂ©rie trace sa ligne dans le sable pour refuser ce qui nâest pas acceptable.
Câest peut-ĂȘtre ça le message de la sĂ©rie: si lâon nâĂ©coute pas les autres, on nâĂ©volue pas, et on devient le vieux con dont on se moquait quand on Ă©tait jeune.
Cela dit, en 2021, ĂȘtre modo sur le groupe Facebook âNeurchi de Brefâ mâa permis de pĂ©cho! ↩︎
Le protagoniste nâĂ©tant jamais nommĂ©, il est crĂ©ditĂ© en tant que âJeâ. ↩︎
De la mĂȘme maniĂšre que Eternal Sunshine of the Spotless Mind joue sur le rĂȘve et sâen sert pour dĂ©former les environnements, Je utilise son imagination pour remanier la rĂ©alitĂ© Ă sa sauce. ↩︎
Je soupçonne fortement que la maniĂšre de filmer un objet qui va lier deux Ă©vĂšnements ait Ă©tĂ© inspirĂ© par cette sĂ©rie. ↩︎
Si vous ĂȘtes de Marseille, vous connaissez dĂ©jĂ lâhistoire de la Ligue des champions de lâUEFA 1992-1993 ↩︎
Le Syndrome du personnage principal est le comportement dâune personne qui tend Ă se considĂ©rer comme le hĂ©ros dâune trame narrative imaginaire et idĂ©alisĂ©e de sa vie. ↩︎