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đŸ“ș Veronica Mars

Se replonger dans Veronica Mars, c’est revenir dĂ©but des annĂ©es 2000. Sans dĂ©conner, 2004! A l’époque, on avait pas de services de VODs, on tĂ©lĂ©chargeait des Ă©pisodes de 200Mo en “DivX”1 sur MegaUpload, et certains d’entre nous regardaient encore la tĂ©lĂ©vision
 C’était une Ă©poque oĂč les sĂ©ries avaient du succĂšs selon leurs propres qualitĂ©s, et pas sur la base de leur nombre d’édits TikTok, et on apprĂ©ciait un personnage sans que quiconque ne nous emmerde d’une diarrhĂ©e verbale discutant de si le personnage Ă©tait “woke” ou non. Des fois, ça a du bon d’ĂȘtre un vieux con et de revivre une Ă©poque “que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaĂźtre”


A l’époque, j’avais arrĂȘtĂ© Veronica Mars Ă  la fin de sa seconde saison, et fait l’impasse sur la troisiĂšme. J’avais Ă  peu prĂšs une idĂ©e de ce qui allait s’y tramer, et de l’évolution de certains personnages, et la saison 2 se terminait d’une maniĂšre assez satisfaisante pour que je ne considĂšre pas, narrativement parlant, qu’il Ă©tait nĂ©cessaire d’aller plus loin. Mais mes TOCs ont pris le dessus, et voir cette sĂ©rie toujours pas terminĂ©e sur mon compte BetaSeries m’a menĂ© Ă  tout reprendre
 Alors, que vaut Veronica Mars deux dĂ©cennies plus tard?

Retour au lycée

Si je vous parle d’une sĂ©rie dont la premiĂšre saison se dĂ©roule au lycĂ©e, quelques temps aprĂšs le meurtre d’un(e) Ă©lĂšve, et que nous allons passer une saison Ă  enquĂȘter sur le sujet, tout en jonglant avec les frivolitĂ©s de la vie lycĂ©enne, vous penserez peut-ĂȘtre Ă  une autre sĂ©rie rĂ©cente: Riverdale. Les deux sĂ©ries ont vingt ans d’écart, mais la maniĂšre dont leurs points communs et leurs diffĂ©rences m’ont sautĂ© aux yeux ne rendait le visionnage que plus intĂ©ressant. Si les deux sont similaires jusque dans la rĂ©solution et la dĂ©couverte du coupable, Riverdale est un ensemble cast2 et Veronica Mars ne se concentre que sur son hĂ©roĂŻne, un style qui paraĂźt presque anachronique, tant mĂȘme l’adaptation tĂ©lĂ©visĂ©e de His Dark Materials avait fait le choix d’insĂ©rer un personnage au chausse-pied dĂšs la premiĂšre saison, alors qu’il n’y avait aucun rĂŽle dans le livre original.

Je ne sais pas trop d’oĂč vient ce changement et s’il est aussi global que j’en ai l’impression, mais en effet, on suit Veronica Mars pour l’hĂ©roĂŻne Ă©ponyme, tandis que je suivais plus Riverdale pour le personnage de Jughead que celui d’Archie, et j’imagine que certaines personnes ne regardaient la sĂ©rie que parce qu’elles s’intĂ©ressaient Ă  Cheryl. Ca m’a paru assez rafraichissant pour le souligner, tant la sĂ©rie peut ĂȘtre prude quand au quotidien de certains personnages: par exemple, le pĂšre de Veronica initie de nouvelles relations amoureuses, mais celles-ci ne sont prĂ©sentĂ©es Ă  l’écran que lorsqu’elles viennent rĂ©ellement impacter la vie de Veronica, comme si la sĂ©rie voulait dire “Si cela ne regarde pas Veronica, cela ne regarde pas le spectateur”.

De la maniĂšre dont les personnages secondaire sont traitĂ©s, j’étais capable de me rappeler de leur existence, sans me rappeler totalement du dĂ©veloppement qu’ils effectuent dans leur relation Ă  Veronica, ce qui m’a menĂ© Ă  des surprises trĂšs intĂ©ressantes, comme la dĂ©couverte qu’un “gentil garçon” Ă©tait un odieux personnage, tandis qu’analyser la maniĂšre dont “le dernier des connards” gagnait en profondeur (et en sentiments!) n’en Ă©tait que plus satisfaisant.

Lorsque la premiĂšre saison se termine, le coupable est dĂ©couvert, la boucle est bouclĂ©e, et les cliffhangers posĂ©s pour la seconde saison sont vraiment minimes. Si Riverdale s’amusait Ă  bazarder une tentative de meurtre dont les showrunners avoueraient plus tard qu’ils n’avaient pas idĂ©e eux-mĂȘmes Ă  ce moment-lĂ  de qui avait tirĂ©, il n’en est rien ici, et le plus gros mystĂšre sera de savoir quel garçon sera l’élu du coeur de Veronica. Les shippers n’ont eu qu’une annĂ©e Ă  attendre, les chanceux!

La ville (pas) maudite

La seconde saison pose une enquĂȘte plus inattendue: un bus scolaire passe Ă  travers la rambarde et va faire trempette quarante mĂštres plus bas, tuant au passage ses occupants. MĂȘme si le spectateur est conscient du medium et n’a pas de problĂšme Ă  y voir un crime, suivre des personnages incapables d’y voir un mystĂšre est rafraichissant: de la mĂȘme maniĂšre qu’on se demande souvent “Qui voudrait vivre Ă  Gotham City?”, je me pose la mĂȘme question pour Riverdale, vu que la mĂȘme “petite ville tranquille typique de l’AmĂ©rique” a Ă©tĂ© victime de: un tueur en sĂ©rie, une prison juvĂ©nile qui fait des combats de boxe illĂ©gaux, un gang de motards tout-puissant, un couvent-slash-hĂŽpital-psy-de-l’angoisse qui fait aussi dans le deal de drogue, une famille mafieuse, une secte,
 Si la sĂ©rie ne traitait pas elle-mĂȘme frontalement du fait que la ville a Ă©tĂ© construite sur un terrain volĂ© aux natifs amĂ©rindiens, on pourrait faire la blague de “la ville maudite construite sur un cimetiĂšre indien”.

Il n’est rien de tout ça Ă  Neptune, la ville fictive de Californie oĂč Veronica officie, tant les enquĂȘtes qui lui sont confiĂ©es paraissent
banales. Plus que banales, elles sont centrĂ©es sur les rĂ©els problĂšmes d’ĂȘtres humains: un ado cherche son pĂšre dĂ©clarĂ© mort mais qui est bien vivant, une autre cherche son chien volĂ©,
 MĂȘme si la rĂ©solution de certaines enquĂȘtes peut faire appel Ă  la suspension consentie de l’incrĂ©dulitĂ© du spectateur, on ne sent jamais dans un univers “fou” et dĂ©nuĂ© de rĂšgles.

Cette saison se termine aussi d’une maniĂšre trĂšs satisfaisante, qui prend le soin de rĂ©pondre Ă  tous les mystĂšres prĂ©sents, tout en en réécrivant d’autres, ce qui amĂšne malheureusement Ă  soulever le voile sur le plus gros dĂ©faut de la sĂ©rie: si les enquĂȘtes contenues dans chaque Ă©pisode ont un cheminement toujours trĂšs logique, celles qui servent de cadre Ă  chaque saison avancent de maniĂšre peu satisfaisante: mĂȘme si des indices dĂ©voilent progressivement diverses parties du problĂšme, le cheminement de l’enquĂȘte ne fait qu’alterner entre divers suspects, sans pour autant que chaque indice ne permette une avancĂ©e et la dĂ©couverte d’un indice consĂ©quent


“Jamais Ă©tĂ© embrassĂ©e”

Un Ă©pisode du podcast Deux Heures de Perdues avait fait la blague: “Pas comme dans Veronica Mars oĂč les acteurs ont 30 ans au lycĂ©e!”, et en effet, aucun de ces lycĂ©ens n’avait moins de 20 ans lorsque la sĂ©rie fĂ»t produite. De fait, leur arrivĂ©e en fac’ leur donne un environnement bien plus appropriĂ© pour leur apparence.

Cette troisiĂšme saison attaque frontalement la question des agressions sexuelles, un sujet dĂ©jĂ  fort dans les premiĂšres saisons, mais qui devient ici central. C’est assez malaisant de voir qu’en vingt ans, rien n’a changĂ©, et que les problĂšmes soulevĂ©s (drogue du violeur, objectification des femmes,
) sont toujours aussi prĂ©sents dans notre sociĂ©tĂ©.

La troisiĂšme saison se termine en laissant pas mal de questions en suspens, suite Ă  l’annulation de la sĂ©rie Ă  l’époque, mais en soit, cela n’est pas dĂ©rangeant: ces questions ne donnent pas l’impression de nĂ©cessiter une rĂ©ponse, nous ne sommes pas face Ă  un Ă©niĂšme crime Ă  rĂ©soudre, et il n’y a pas de coupable Ă  trouver: ces personnages peuvent dĂ©cider de leur futur sans que nous n’en soyons les tĂ©moins.

En 2013, la sĂ©rie a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un Kickstarter qui a permis la sortie d’un film, puis une quatriĂšme saison fĂ»t produite en 2019. Ma soeur m’a dĂ©jĂ  prĂ©venu: “Ne regarde pas la saison 4. Non en fait elle n’existe pas.” Je pense que je vais suivre son conseil pour le moment



  1. Dire qu’à l’époque, mon ordinateur de bureau avait des difficultĂ©s Ă  lire les fichiers MP4 au format H.264, tandis qu’aujourd’hui, c’est le format standard de vidĂ©os en ligne, et le moindre tĂ©lĂ©phone bas de gamme inclut une puce dĂ©diĂ©e pour le dĂ©coder
 ↩︎

  2. Un ensemble cast, ou en Français, une distribution d’ensemble est un type de storytelling oĂč tous les personnages ont une importance Ă©quivalente. ↩︎

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