Post

📚 Tokyo Detective

AprĂšs avoir fait tomber un des plus grands parrains de la mafia japonaise, l’ancien journaliste d’investigation Jake Adelstein s’est reconverti en dĂ©tective privĂ©, traquant les yakuzas devenus hommes d’affaires. Mais lorsqu’en 2011 la catastrophe de Fukushima s’abat sur le Japon, elle vient Ă©branler ses convictions les plus profondes : le mal est tombĂ© lĂ  oĂč il ne s’attendait pas et touche ses amis les plus proches. Le justicier est assailli de doutes : la vĂ©ritĂ© doit-elle ĂȘtre recherchĂ©e Ă  tout prix ?

J’avais beaucoup apprĂ©ciĂ© le premier livre de Jake Adelstein. Celui-ci Ă©tant sa suite directe, quinze ans plus tard, j’en attendais Ă  nouveau une enquĂȘte palpitante dans les bas-fonds Japonais


Malheureusement, cette enquĂȘte n’est jamais parvenue Ă  moi.

Sans cadre, pas de tradition

Lorsque j’ai commencĂ© mes propres Ă©tudes de Japonais en 2002, une personne de ma famille m’a offert Stupeurs et Tremblements d’AmĂ©lie Nothomb. Cette vision du Japon par une occidentale Ă©tait trĂšs novatrice Ă  une Ă©poque qui Ă©tait aux balbutiements d’Internet et oĂč la culture Japonaise paraissait si lointaine1, et puis le face-Ă -face entre les deux personnages Ă©tait rondement menĂ©, comme une jourte verbale incessante. Suite Ă  ça, j’ai eu droit chaque annĂ©e, de la part du mĂȘme membre de la famille2, au “AmĂ©lie Nothomb de l’annĂ©e”. Le hasard commercial faisant que celui-ci sortait invariablement en Aout, il Ă©tait le cadeau “idĂ©al” pour mon anniversaire en Septembre, si bien que j’ai vite dĂ©couvert les “ficelles” de l’autrice et m’en suis lassé 

En 2007, plus ou moins Ă  la pĂ©riode oĂč j’abandonnais dĂ©finitivement mon installation dans la capitale, et ma poursuite du Japonais au sein de l’INALCO, AmĂ©lie Nothomb sortait Ni d’Ève ni d’Adam, qui se voulait comme le rĂ©cit parallĂšle Ă  Stupeurs et Tremblement: les deux s’étaient dĂ©roulĂ©s Ă  la mĂȘme pĂ©riode, mais si le premier ne traitait que la vie professionnelle de l’autrice, celui-ci entendait traiter de sa vie personnelle. Et alors lĂ , peu importent les ficelles, oĂč qu’AmĂ©lie Nothomb rĂ©use constamment des mĂȘmes poncifs de storytelling, il faut reconnaĂźtre le gĂ©nie: une seule pĂ©riode a donnĂ© Ă  deux livres de cent pages.

Quel rapport avec Jake Adelstein?

Et bien
aprĂšs qu’il ait publiĂ© en 2017 la biographie du Yakuza qui fĂ»t son garde du corps3, puis en 2019 un livre d’enquĂȘte sur la chute de la plus grande plateforme d’échange de cryptomonnaies au Japon4, et mĂȘme un podcast sur les disparitions de personnes au Japon, je sens que Jake Adelstein s’est retrouvĂ© face Ă  un problĂšme de contenu, et malheureusement, il ne torche pas un bouquin de cent pages par an pour Ă©voquer Ă  rĂ©pĂ©tition et de maniĂšre fade un Ă©niĂšme conflit entre la presse et la pĂšgre Japonaise


Le premier livre arrivait Ă  se dĂ©marquer par son contexte fort (“Un AmĂ©ricain dĂ©couvre le boulot de journaliste criminel au Japon”), et avait le bonus de surfer sur un Ă©vĂšnement fort (difficile de faire mieux que sortir un scoop sur la collaboration d’un patron de la pĂšgre Japonaise avec le FBI), deux sujets qui s’étaient retrouvĂ©s concluĂ©s Ă  la mĂȘme pĂ©riode, servant Ă  fermer le livre parfaitement.

Dans cette suite, l’impression est que l’auteur n’a plus rien Ă  raconter, ce qui serait presque vrai, tant les meilleurs sujets ont dĂ©jĂ  servi Ă  bĂątir d’autres livres


Sans série télé, pas de modernité

Lorsque HBO a annoncĂ© que la sĂ©rie Tokyo Vice n’aurait pas de troisiĂšme saison, les messages de fans, clamant leur tristesse et leur dĂ©sir d’une suite des aventures tĂ©lĂ©visuelles du reporter, ont affluĂ© sur Instagram5 et autres rĂ©seaux sociaux. Ce choix m’apparaissait tout Ă  fait normal, vu que le principal arc couvert par la sĂ©rie tĂ©lĂ© (le scoop) se concluait avec brio, et je me suis surpris Ă  me poser la question: “Si troisiĂšme saison il y avait, de quoi pourrait-elle bien parler?”. D’une certaine maniĂšre, ce livre y apporte une rĂ©ponse et
elle n’est pas trĂšs intĂ©ressante. Un boulot de “dĂ©tective privĂ©â€ Ă  peine survolĂ©6, de la due diligence7 qui n’amĂšne Ă  pas grand-chose si ce n’est une pub discrĂšte pour le futur livre d’un ex-collaborateur,


Aucun fil rouge: Ă  peine le cheminement de la vie de l’auteur, et une foule d’histoires dans tous les coins. Appeler tout cela “inintĂ©ressant” serait un mensonge, mais les enquĂȘtes vraiment trĂ©pidantes qu’a pu entreprendre l’auteur ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© publiĂ©es, en livre ou en podcast. Seule reste la dĂ©sagrĂ©able impression de ne retrouver ici que les miettes



  1. Doux souvenir de l’essai satirique So You Want To Learn Japanese. (“Vous dites que vous voudriez apprendre le Japonais?”), que l’un de nous avait cru bon Ă  envoyer Ă  notre prof de Japonais. ↩︎

  2. Je soupçonne ma mĂšre, c’est probablement Ă  elle que je dois le reste de la bibliographie. ↩︎

  3. “Le dernier des Yakuzas”, aux Ă©ditions Marchialy ↩︎

  4. “J’ai vendu mon Ăąme en bitcoins”, aux Ă©ditions Marchialy. ↩︎

  5. Notamment sur tokyovice, celui de Jake Adelstein ↩︎

  6. Alors qu’il est bien plus dĂ©taillĂ© dans le podcast The Evaporated: Gone with the Gods. ↩︎

  7. Ou en bon Français: vĂ©rification diligente. ↩︎

This post is licensed under CC BY 4.0 by the author.