đș The Next Generation: Patlabor
En 1988, le collectif HEADGEAR1 est formĂ©. Chacun des membres de ce groupe met en commun ses capacitĂ©s afin de crĂ©er une franchise multi-mĂ©dias: Patlabor. ComposĂ©e dâun manga, de romans, et de plusieurs productions animĂ©es, cette franchise se dĂ©roulant dans un futur proche2 dĂ©peignait le quotidien dâune unitĂ© de police, la SV2 (Special Vehicles-2) chargĂ©e de la criminalitĂ© liĂ©e aux Labors, une nouvelle classe de vĂ©hicules plus proche de lâengin de chantier que du robot gĂ©ant auquel la science-fiction Japonaise nous avait habituĂ©s.
En 2014, alors que la franchise Ă©tait tombĂ©e dans lâoubli depuis 2002 et la sortie dâun film qui tenait plus de la traque au monstre que du combat de robots, une sĂ©rie live-action se voulant la suite chronologique de la franchise prĂ©cĂ©demment Ă©tablie est sortie.
Câest bien toi le plus fort
Au Japon, les oeuvres de robots sont classifiĂ©s en deux catĂ©gories majeures: le Super Robot et le Real Robot. La premiĂšre regroupe les oeuvres oĂč le rĂ©alisme nâa que peu son mot Ă dire: si Goldorak est bien un ârobotâ, ses âfulguro-poingsâ sont tout bonnement impossibles et seule la rĂšgle de la coolitude prĂ©vaut, sachant quâhurler le nom de son attaque la rend plus puissante. Lâautre catĂ©gorie regroupe des oeuvres oĂč le robot se veut ĂȘtre plus rĂ©aliste: par exemple un Gundam a besoin dâune piste dâenvol et de carburant, ce sont des productions militaires et il existe des prototypes ainsi que des modĂšles de production de masse dĂ©rivĂ©s, certains se retrouvent Ă devoir sacrifier de lâarmement pour de la protection, et ils arrivent quâils soient Ă court de munitions.
Selon moi, Patlabor est lâextrĂȘme exemple du Real Robot. LĂ oĂč le Variable Fighter de Macross nâest quâune Ă©volution de lâavion de chasse3 et se voulait une expression trĂšs rĂ©aliste du genre de robot que la science pourrait crĂ©er, le Labor est vraiment voulu comme une Ă©volution de la voiture Ă laquelle on aurait attachĂ© des appendices facilitant le dĂ©placement tout-terrain et la manipulation dâobjets. De fait, le robot nâest plus lâapanage de la force policiĂšre/militaire locale, mais un objet de tous les jours. Si bien que mĂȘme si lâhĂ©roine principale de la franchise (et lâhĂ©roine de la suite) a toujours une passion pour le pilotage de Labors, il ne sâagit plus lĂ dâun rĂȘve âdĂ©mesurĂ©â dans un monde oĂč mĂȘme le petit criminel local a un Labor au fond de son jardin et oĂč ce robot nâest plus quâun produit tout aussi courant que lâest une voiture pour nous.
Les flics de lâennui
Par ce propos de dĂ©part si particulier, la franchise Patlabor a toujours baignĂ© dans une espĂšce de je-mâen-foutisme au regard de son robot titulaire. Si certaines oeuvres dĂ©cident de dĂ©marrer sur les chapeaux de roue par une affaire oĂč le robot pourra briller par son aptitude au combat, dâautres prennent le parti de prĂ©senter la chose sous lâangle le plus affligeant qui soit: le transport du robot policier sur les routes embouteillĂ©e de Tokyo est compliquĂ©, et lâarrivĂ©e de lâĂ©quipe se fait alors que le robot criminel sâest dĂ©jĂ rendu il y a vingt minutes aprĂšs avoir nĂ©gociĂ© avec des forces de polices moins bien Ă©quipĂ©es mais dĂ©jĂ prĂ©sentesâŠ
Toutes les productions de la franchise ont toujours pris soin de prĂ©senter ainsi la rĂ©alitĂ© des choses: mĂȘme si lâon est la BRI ou le GIGN, on nâutilise pas du matĂ©riel de pointe tous les jours, on ne le glorifie pas, et le quotidien relĂšve plus de lâentrainement et la vie en communautĂ© dâun bataillon, que de lâaction constante. Ainsi, lâaccent est toujours mis sur les personnages, lâenvironnement,âŠet leurs batailles avec les commerces locaux4.
Cette sĂ©rie live-action lâa bien compris et reprend ces idĂ©es. Le premier Ă©pisode nous montre une prĂ©paration de sortie, qui est annulĂ©e Ă la derniĂšre minute carâŠlâordre de mission a mal Ă©tĂ© compris. Une sortie sera enfin faite en fin dâĂ©pisode pour dĂ©montrer les capacitĂ©s du robotâŠface Ă un alcoolique qui sâest rĂ©fugiĂ© dans un hangar avec un Labor pris sur le chantier oĂč il travaille. On a connu plus glorieux comme combat de robot!
Les flics de lâhumour
Paradoxalement, le rĂ©alisme dans la franchise Patlabor est toujours mis en faillite par son humour5 cartoonesque. Si le cas de la âguerre du restaurantâ a Ă©tĂ© Ă©voquĂ©, plusieurs Ă©pisodes de la sĂ©rie animĂ©e sont dĂ©diĂ©s Ă un crocodile qui se balade dans les Ă©gouts de lâunitĂ© et que celle-ci doit affronter, un Ă©pisode se soldant mĂȘme par la disparition entiĂšre de lâĂ©quipe(?). LĂ encore, le ton est repris: dĂšs le premier Ă©pisode, un tir de pistolet gĂ©ant pour arrĂȘter un Labor assaillant produit (visuellement) une explosion nuclĂ©aire qui ne fait aucune victime, tandis que le second Ă©pisode, dĂ©diĂ© Ă une inspection par une grande huile militaire, se termine par une explosion nuĂ©claire qui dĂ©truit toute la base (elle sera intacte au prochain Ă©pisode).
Les personnages participent grandement Ă cette humour et sont tous voulus comme des copies des prĂ©cĂ©dents protagonistes: un chef un peu dĂ©sinvolte, une pilote fan de robot, un passionnĂ© de technologies militaires, un poltron mariĂ©, un alcoolique au tempĂ©rament violent, un grand baraquĂ© au coeur tendre, et une flic de choc6 dont on se demande ce quâelle fait au milieu de cette Ă©quipe de bras cassĂ©s, tous secondĂ©s dans leur mission par lâĂ©quipe de maintenance, dont le chef est jouĂ© par le doubleur du personnage Ă©quivalent dans la sĂ©rie animĂ©e.
Pour défendre la Terre en danger
En rĂ©alitĂ©, quiconque regarde Patlabor en espĂ©rant des combats de robot sera vite déçu. LâĂ©pisode 3 ne contient que la quĂȘte de la pilote principale pourâŠdevenir plus forte Ă un jeu dâarcade7, et le seul combat de lâĂ©pisode 4 est celui de Kasha, armĂ©e dâun AK-47 Ă bayonette, contre les preneurs dâotages de la supĂ©rette locale (un twist intĂ©ressant pour quiconque sâattendait Ă une redite).
Les Ă©pisodes 5 et 6 remettent le robot au centre de lâintrigue pour le faire affronter un monstre gĂ©ant. Si dans la sĂ©rie originelle, ce kaiju nâĂ©tait quâun robot savamment dĂ©guisĂ© pour relancer lâĂ©conomie locale en attirant les curieux, cet Ă©pisode rĂ©alisĂ© par Oshii prend ici une toute autre tournureâŠet conclusion.
Les Ă©pisodes 7 Ă 9 laissent encore le robot en arriĂšre-plan pour sâattarder sur un poseur de bombes et un sniper. La seule flic compĂ©tente du groupe est mise Ă lâhonneur et Kasha brille dans de long plans silencieux oĂč elle scrute les hauteurs de la ville Ă la recherche du meilleur point dâattaque, tandis que lâĂ©quipe de maintenance est ridiculisĂ©e lorsquâelle interrompt sa recherche de bombes pourâŠlire les revues de charm laissĂ©es dans un dĂ©barras par la prĂ©cĂ©dente Ă©quipe. LâĂ©pisode 9 fera suite Ă lâintrigue du crocodile de la sĂ©rie TV, en faisant une trĂšs bonne parodie dâAliens, tout en sachant renouveler son propos.
LâĂ©pisode 10 promet de lâaction de robots et du terrorisme de grande envergure, reprenant un gag de la sĂ©rie originale, mais Ă part un combat final vite expĂ©diĂ©, lĂ encore, le robot se rĂ©vĂšle inutile.
Le monde sera delivré bientÎt
A lâinstar des Ă©pisodes 2, 6, et 9, beaucoup dâĂ©pisodes donnent ce sentiment dâinachevĂ©: mĂȘme si lâintrigue principale apparaĂźt comme rĂ©solue, et que lâon ne ressent pas le besoin dâaller plus loin, une scĂšne vient toujours se rajouter et donner une impression de âMais comment la sĂ©rie et cet univers peuvent-ils continuer Ă partir de lĂ ?â. Ce parti-pris peu usuel pour une sĂ©rie tĂ©lĂ© est pourtant rassurant dans le traitement attendu pour une adaptation live de la franchise Patlabor: on nâen attend pas le sĂ©rieux dâun Batman Begins de Christopher Nolan, uniquement son respect de la technologie.
De mĂȘme, les multipes rĂ©fĂ©rences aux productions animĂ©es prĂ©cĂ©dentes savent rester discrĂštes, au point mĂȘme que jâai dĂ» vĂ©rifier pour mâassurer que certaines Ă©tait bien des rĂ©fĂ©rences, et pas une invention de mon esprit habituĂ© par une sur-consommation de sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es.
Dans la plus pure tradition Oshii-esque, la sĂ©rie se termine encore sur des intrigues politiques, avec une Ă©niĂšme tentative de coup dâĂ©tat auquel la section spĂ©ciale devra faire face, cette fois dans un film cinĂ©ma qui servira de conclusion Ă la sĂ©rie.
Ce collectif inclut notamment Mamoru Oshii (rĂ©alisateur du film Ghost In The Shell), mais aussi Akemi Takada (chara-designeuse, connue pour son travail sur Max et Compagnie, Juliette Je Tâaime, et Creamy), Yutaka Izubuchi (mecha designer), Kazunori ItĆ (Ă©crivain, connu pour la franchise .hack), et Masami Yuki (mangaka, un peu moins connu par chez nous). ↩︎
Un futur proche se dĂ©roulant potentiellement enâŠ1998â2002. ↩︎
Plus prĂ©cisĂ©ment: le F-14 Tomcat. ↩︎
Dans un Ă©pisode assez cĂ©lĂšbre, lâunitĂ© entiĂšre se retrouve dans une âguerreâ avec le seul restaurant de proximitĂ© car celui-ci refuse dĂ©sormais de les livrer. ↩︎
A lâexception des trois films rĂ©alisĂ©s par Mamoru Oshii, dont les propos plus sĂ©rieux traitent de transhumanisme et de politique. ↩︎
Si Kanuka Clancy, lâoriginale, venait du NYPD, Ekaterina Krachevna Kankaeva (ou âKashaâ) vient du FSB, fume clope sur clope, et conduit une moto Ducati 1199 Panigale. ↩︎
Vous saurez donc que Akira est une main de Xiaoyu sur Tekken Tag Tournament 2 Unlimited. ↩︎