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🎬 Superman (2025)

Sale temps pour les films inspirĂ©s de comic books. Chez Marvel, suite Ă  la Marvel fatigue qui dure depuis Avengers: Endgame, le film ayant clĂŽt l’univers pour beaucoup, on tente de sauver les meubles avec des films fauchĂ©s sur de nouvelles Ă©quipes de hĂ©ros. Chez DC, le Snyderverse n’a su ni convaincre, ni s’imposer, et Ă  l’exception d’un trĂšs bon film The Batman en 2022, tout ce qu’avait produit la firme depuis Ă©tait vraiment mauvais et n’inspirait pas confiance pour la suite.

DĂ©sireux d’insuffler du sang neuf Ă  leur franchise, la Warner a donc embauchĂ© James Gunn pour remettre l’univers Ă  zĂ©ro, le rendre intĂ©ressant, et lui faire gĂ©nĂ©rer plus de blĂ© que de honte.

J’aime bien Gunn. S’il y a bien UN film du Marvel Cinematic Universe que je peux revoir en boucle, c’est bien Guardians of the Galaxy. InspirĂ© d’une team rĂ©cente et trĂšs mineure de l’univers des comics Marvel, cet assemblage de bras cassĂ©s arrivait Ă  toucher par la personnalitĂ© de ses membres, son humour, son action, sa mise en scĂšne,
 Non vraiment, ce film est parfait. Malheureusement, suite Ă  son succĂšs, tout le monde a voulu l’imiter, sans vraiment comprendre ce qui avait fait le succĂšs du film. Et aprĂšs avoir vu la suite, j’ai vraiment l’impression que Gunn non plus


Hashtag Super-Merde

Le youtubeur Durendal en avait fait la prĂ©diction: James Gunn aime les losers, ce qui est incompatible avec la “majestĂ©â€ que doit incarner Superman, qu’il va donc “humilier”. Sa prĂ©diction s’est avĂ©rĂ©e juste1: le film s’ouvre sur un texte d’introduction du plus mauvais gout, suivi par la premiĂšre dĂ©faite de Superman, que l’on voit s’écraser comme une merde, puis ĂȘtre moquĂ© par son chien dans une scĂšne un poil longue.

Dans un sens, j’apprĂ©cie ce dont le film est capable avec la figure de Superman, tant les consĂ©quences peuvent s’avĂ©rer trĂšs plaisantes (la force de Superman est inutile face au problĂšme du jour), voire mĂȘme sacrilĂšges (je n’ai pas souvenir que les parents biologiques aient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©crits ainsi dans les comics), ou trĂšs pointues (toujours cette question de la gĂ©opolitique mondiale chez Superman). Mais de l’autre, impossible de ne pas y voir des facilitĂ©s d’écriture pour rabaisser le personnage et le rendre plus simple Ă  apprĂ©hender, ce qui est pour moi un aveu d’échec: on peut Ă©crire un Superman sans avoir Ă  le nerfer, et tandis que j’écrivais cette phrase, j’ai relu deux arcs de Superman2 pour me le prouver.

Stick to your Gunn’s

Le film reste vraiment symptomatique des films de Gunn, et de toute la vague post-cynique qu’il a (malgrĂ© lui?) insufflĂ©e dans les films adaptĂ©s de comic books.

Dans le premier Gardiens, quand Chris Pratt passe tout le film Ă  essayer de convaincre son entourage qu’il est “LE Star-Lord”, il n’est qu’un terrien pas vraiment sorti de l’enfance, entourĂ© d’aliens en tous genres, pour qui il n’est qu’une existence de plus, et ce cynisme envers son identitĂ© de super-hĂ©ros fait sens: ses pouvoirs/sa technologie ne font pas de lui un ĂȘtre “spĂ©cial” dans ce contexte, et il est normal qu’il soit le dindon de la farce et (dans ce premier film) qu’on ne le prenne pas au sĂ©rieux. Mais depuis, dĂšs qu’un personnage de film de super-hĂ©ros va mentionner un truc un tant soit peu “super”, il faudra qu’un personnage se pointe avec une vanne pour dĂ©crĂ©dibiliser la situation, comme si le film lui-mĂȘme ne croyait pas en son propos. L’ampleur des dĂ©gĂąts n’est pas aussi profonde ici, heureusement, mais on en trouve des relents, en la personne du “Justice Gang” qui passe un quart de leur temps Ă  l’écran de dĂ©battre du nom de leur team, ou Ă  essayer de justifier de leur super-hĂ©roĂŻsme. Vraiment, le film pouvait s’en passer.

Pire encore, lorsque cette Ă©quipe a droit Ă  son propre combat dantesque sans l’aide de Superman, sensĂ© crĂ©dibiliser leurs capacitĂ©s en tant que hĂ©ros, ce combat est relĂ©guĂ© Ă  l’arriĂšre-plan d’une scĂšne de dialogue entre Lois Lane et Superman. La salle entiĂšre a rigolĂ©, et moi aussi. Est-ce vraiment ce que mĂ©ritent les hĂ©ros qui sauvent MĂ©tropolis d’une amibe interdimensionnelle?

Heureusement, Gunn n’est pas un tĂącheron: il sait faire des films, et mĂȘme si l’envol hĂ©roĂŻque d’un personnage sera gĂąchĂ© par une sĂ©quence prĂ©paration de dix secondes oĂč il doit refaire ses lacets, le spectacle sera lĂ .

Des personnages secondaires au top

PassĂ© Krypto le super-chien, on a droit aux parents (Kryptoniens) de Superman. On est Ă  peu prĂšs sur la mĂȘme ligne que Marlon Brando dans le film de Donner de 1978, mais jouĂ© par Bradley Cooper3, avec toujours ce message rĂ©pĂ©tĂ© ad nauseam de “Nous t’avons envoyĂ© sur Terre pour te sauver, et pour les sauver”. Cette fois-ci, un twist trop malin pour que je ne puisse le spoiler ici y est ajoutĂ©, et je trouve que ça contribue grandement, Ă  l’intrigue, au propos du film, mais aussi Ă  la construction de Superman. AprĂšs avoir lu mon Twitter, j’ai vu des gens s’indigner de cette idĂ©e, ou ne pas la comprendre, alors que je la trouve diablement intelligente, et que j’adore toute la complexitĂ© qu’elle peut amener.

Ensuite vient Lex Luthor, fabuleusement interprĂ©tĂ© par Nicholas Hoult4, et condensant parfaitement la personnalitĂ© issue des 85 ans d’histoire du personnage: gĂ©nie, manie, folie, colĂšre, hubris,
 Le parti pris est total, et pour quiconque doutait de la volontĂ© de Gunn “d’humilier” les super-hĂ©ros, je rĂ©alise Ă  l’instant que si la rĂ©alisation du film remet constamment Superman (et les super-hĂ©ros) en question, ce n’est jamais le cas de Luthor: aucune scĂšne ne donne l’impression que l’acteur en fait des caisses, aucun personnage ne doute de la nomination (piteuse) de ses “armes”, aucun dialogue oĂč l’un de ses sbires doute de son gĂ©nie, aucun de ses alliĂ©s ne l’ennuie par sa personnalitĂ©, aucune question qui ne le laisse silencieux,
 seule la dĂ©faite parvient Ă  l’arrĂȘter.

PassĂ©e cette introduction, notre hĂ©ros pointe au Daily Planet, oĂč l’on retrouve un Jimmy Olsen compĂ©tent et trĂšs proche de son alter-Ă©go de papier5, un Perry White toujours adepte de cigares, et deux-trois autres journalistes issus des comics mais qui n’apportent vraiment rien Ă  l’intrigue. J’ai trouvĂ© qu’il manquait quelque chose Ă  Perry White, mĂȘme si le rĂŽle est trĂšs fidĂšle, mais peut-ĂȘtre est-ce dĂ» Ă  son faible temps d’apparition Ă  l’écran, et j’aurais aimĂ© en voir plus. En revanche Jimmy Olsen est (presque) parfait. Presque, car l’on ne le voit pas prendre de photos, ou mĂȘme ĂȘtre “le pote de Superman”6, mais il est un journaliste compĂ©tent, et tout son subplot d’enquĂȘte est jouissif et hilarant. En revanche, on revient encore Ă  cette mĂȘme idĂ©e: l’absurditĂ© de son intrigue fait rire, mais le personnage n’est pas moquĂ©. Encore un qui s’en tire mieux que Superman


Et bien sur, Lois Lane. Je ne sais pas si c’était fait exprĂšs, mais je l’ai trouvĂ©e trĂšs proche physiquement de la prĂ©cĂ©dente Lois Lane. Au-delĂ  de l’intrigue autour du mĂ©chant du jour, on peut dire que sa relation Ă  Superman est l’épine dorsale du film, les deux personnages apprenant Ă  s’apprivoiser. Au-delĂ  de leur amour Ă©vident, le voir s’exprimer Ă  l’écran par leur dĂ©sir mutuel est jouissif, tant l’alchimie entre Superman et Lois Ă©tait INEXISTANTE dans le film Man of Steel. On a donc droit Ă  une Lois trĂšs solide, trĂšs rĂ©elle, qui n’hĂ©site pas Ă  poser les questions qui fĂąchent, creuser lĂ  oĂč ça fait mal, et Ă  se jeter dans l’action pour sauver Superman! Un rĂ©gal qui rappellera Ă  certains la Lois de Teri Hatcher.

Le grand absent

Ma prof de français de seconde m’avait dit un jour: “Je ne vois plus Superman de la mĂȘme maniĂšre depuis la tirade de Bill dans Kill Bill”7. Ayant commencĂ© Ă  lire des comics Ă  une Ă©poque oĂč Clark Kent Ă©tait plus important que Superman8, je n’y ai jamais vraiment adhĂ©rĂ©, et j’étais vraiment ennuyĂ© par les films qui ne sont pas capables de prendre les deux identitĂ©s en compte. La plupart du temps, ces films tuent son pĂšre adoptif, Jon Kent, pour lui ĂŽter toute raison gĂȘnante de rester Clark Kent9.

Rassurez-vous, les Kent sont toujours en vie. Leur intĂ©gration dans l’histoire est assez Ă©trange: ils commencent le film comme “les boulets Kent”, et lorsque l’on voit le portable de Clark afficher leur nom Ă  l’écran, on se demande presque pourquoi il n’a pas juste renommĂ© leur contact en “Ne pas rĂ©pondre”. Sans dĂ©conner, si le film part du principe que “Superman existe dĂ©jà” et Ă©vite de nous refaire une Ă©niĂšme fois les origines, sur ce sujet-lĂ , c’est minable: la relation de Clark Ă  ses parents donne l’impression qu’il a juste habitĂ© 25 ans chez eux sans dĂ©velopper le moindre rapport avec eux, et qu’il suffit que Lois arrive dans sa vie pour qu’il rĂ©alise “Oh, en fait mes parents adoptifs m’aimaient?”. C’est risible.

Risible. C’est le mot parfait pour dĂ©crire la durĂ©e d’apparition de Clark Kent Ă  l’écran.

PassĂ© le combat d’intro du film, on voit donc Clark pointer vite-fait au boulot pour poser un article, puis un moment de date avec Lois Lane (vite Ă©vincĂ© par “je veux parler Ă  Superman”), puis plus tard une sĂ©ance de repos chez ses parents. Ce n’est pas totalement catastrophique, mais c’est vraiment chiant. MĂȘme la scĂšne finale oĂč Perry et Jimmy commentent la situation me laissait espĂ©rer que quelqu’un lĂąche un “Au fait, oĂč est passĂ© Kent?”, mais il n’en est rien: mĂȘme les personnages du film se foutent de Clark Kent, et pour moi, ça ne va pas du tout. Si la fin du film (et son propos) indique bien que Superman renoue avec son Ă©ducation “terrestre”, il n’en est toujours rien pour l’identitĂ©, ce qui est dommage, tant j’apprĂ©cie la vision de LoĂŻs et Clark : Les Nouvelles Aventures de Superman:

“Superman, c’est ce que je peux ĂȘtre. Clark, c’est ce que je suis vraiment.”
― LoĂŻs et Clark : Les Nouvelles Aventures de Superman, Ă©pisode: Retour vers le passĂ©

Cette critique, bien sĂ»r, ne reflĂšte que ma prĂ©fĂ©rence personnelle: James Gunn a dĂ©cidĂ© d’axer le film sur la place de Superman dans notre monde, plus que sa dualitĂ© entre son humanitĂ© et ses pouvoirs, et tout son propos, aussi bancal que je puisse trouver l’idĂ©e d’origine, arrive Ă  faire Ă©merger son propos ici.

Ainsi, mĂȘme si Gunn est connu pour avoir “crĂ©Ă©â€ le cynisme chez les super-hĂ©ros, il en ressort avec une idĂ©e trĂšs forte et porteuse d’espoir, comme une antithĂšse Ă  son propos: peut-ĂȘtre que la gentillesse est la vraie forme de rebellion.


Post-scriptum

Dans son vlog, Durendal explore (et spoile) beaucoup plus d’idĂ©es complĂ©mentaires que je n’ai pas dĂ©veloppĂ©es ici. Si la figure de Superman vous intĂ©resse, je vous recommande le visionnage.


  1. AprĂšs tout, il le dit lui-mĂȘme: “Pourquoi J’ai Raison Et Vous Avez Tort”. ↩︎

  2. En l’occurrence, le trĂšs intĂ©ressant For Tomorrow, et le sublime This is Your Life. ↩︎

  3. Qui doublait Rocket Racoon dans Gardiens
, le film contient BEAUCOUP de camĂ©os de prĂ©cĂ©dents collaborateurs de Gunn. ↩︎

  4. Que vous avez dĂ©jĂ  entendu hurler “I live, I die, I live again” dans Mad Max: Fury Road ↩︎

  5. Vous n’imaginez pas Ă  quel point le Jimmy Olsen des comics est Ă  l’intersection parfaite entre 1) le photographe journalistique le plus talentueux du monde 2) l’humain Ă  qui il arrive le plus d’aventures extraordinaires n’impliquant PAS Superman 3) l’objet de l’attention de toutes les femmes, humaines ou non. C’est vraiment un Peter Parker qui a rĂ©ussi. ↩︎

  6. Pendant 20 ans, Jimmy Olsen a eu droit Ă  son propre comic book, intitulĂ© Superman’s Pal Jimmy Olsen. ↩︎

  7. Cette citation dĂ©crit le personnage de Clark Kent comme un alter-Ă©go Ă  Superman, qui serait la vision de l’ĂȘtre humain moyen selon Superman: “Il est faible, il doute de lui-mĂȘme, c’est un lĂąche.”. ↩︎

  8. En effet, ce n’est qu’à partir de 1986 que Clark Kent redevient l’identitĂ© principale du personnage. ↩︎

  9. Apparemment, Martha Kent n’est pas une raison suffisante. ↩︎

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