đź Binary Domain
En 2011, un peu aprĂšs Yakuza 4 et son spin-off Ă flingues Yakuza: Dead Souls, le studio de SEGA a gagnĂ© le droit de prendre le nom Ryu Ga Gotoku Studio, du nom japonais de sa franchise phare, et a donc sorti un nouveau jeu pour fĂȘter lâoccasion: sans aucun lien avec la sĂ©rie Yakuza, et mĂȘme pire, un jeu au style plutĂŽt amĂ©ricain. Un produit tellement peu Japonais que le doublage VF inclut un personnage qui parle avec un fort accent marseillaisâŠ
FantĂŽme dans la station essence
Dans le futur, aprĂšs la fonte des glaces et lâĂ©mergence des robots et autres IAs, le monde entier a banni un certain niveau de recherche pour ne pas attenter au concept de âvieâ. Surprise: quelquâun Ă Tokyo nâa pas suivi la consigne et a dĂ©veloppĂ© des robots si humains quâils ignorent eux-mĂȘmes ĂȘtre des machines. Pour pallier Ă cette menace, une coalition internationale envoie ses meilleurs agents dans la ville, devenue une forteresse, afin de dĂ©couvrir le scientifique Ă lâorigine de cette science, et mettre un terme Ă ces agissements.
Ainsi, Dan, notre hĂ©ros amĂ©ricain sans peur et sans reproches, sera accompagnĂ© de Big Bo, son alliĂ© avec qui il a fait les 400 coups, Charles et Rachel, les agents britanniques, Faye, seule survivante de lâĂ©quipe chinoise, et Cain, le robot qui accompagnait la (dĂ©funte) Ă©quipe française. Tout ce petit monde sera briĂšvement rejoint par Akira, un rĂ©sistant anti-robots local, et Kurosawa, un flic qui aura eu la mauvaise idĂ©e de se retrouver face au grand mĂ©chant en mĂȘme temps que nos hĂ©ros.
Ca tchatche dans la cité
Au travers des six chapitres du jeu1, cette fine équipe traversera la ville futuriste, entre bas-fonds crasseux, et surface rutilante réservée aux élites, et défoncera du robot en pagaille, tout en se lùchant de bons gros one-liners.
Le jeu parle beaucoup. Tellement, que câest lâune de ses mĂ©caniques principales: le joueur est encouragĂ© Ă utiliser un micro pour converser en temps rĂ©el avec ses compagnons dâarmes, leur donner des ordres, des encouragements, ou mĂȘme les insulter, afin dâentretenir avec eux une relation qui influencera lâhistoire.
Câest un systĂšme trĂšs intelligent, mais aussi trĂšs bancal. Je ne suis pas un âjoueur Ă voixâ, mais le jeu pallie Ă lâabsence de micro par des prĂ©-sĂ©lections de rĂ©pliques, qui sont parfois trĂšs bateau, et certaines ont le mauvais goĂ»t de ralentir le jeu. Ainsi, certaines scĂšnes sont censĂ©es permettre aux personnages de faire connaissance et tisser des liens, mais interdisent de courir pour aller dâun camarade Ă lâautreâŠ
La progression de lâaffection entre les personnages sera aussi un levier scĂ©naristique Ă la fin du jeu qui conditionnera les divers embranchements du chapitre final. Mais lĂ encore, difficile Ă croire que le niveau dâaffection avec mon âcompagnon dâarmes de toujoursâ ne soit pas au max Ă la fin du jeu, mais que le flic random qui a fini coincĂ© avec moi Ă la fin du jeu devienne mon meilleur ami.
Les faiseurs de piÚces détachées
LâĂ©quipe de hĂ©ros se fait appeler âles casseursâ, et câest bien de cela quâil sâagit tant les vagues dâennemis arrivent par centaines de milliers, parfois sans mĂȘme la moindre pause dans un flux incessant de mĂ©tal. Le jeu a de bonnes idĂ©es Ă ce niveau-lĂ avec des dĂ©gĂąts localisĂ©s: dĂ©truisez la tĂȘte, et le robot attaquera aussi ses alliĂ©s, dĂ©truisez les jambes, et ils ramperont au sol, dĂ©truisez les bras, et ils ne pourront plus tenir dâarmes,âŠ
Câest un systĂšme sympa mais qui vient malheureusement avec un dĂ©faut: il faut que les robots soient assez rĂ©sistants pour survivre avec des membres en moins et montrer au joueur des robots dĂ©labrĂ©s. Donc, les robots sont trĂšs rĂ©sistants. Trop rĂ©sistants. Ils prennent trop de temps Ă tomber, et câest infernalement ennuyeux. CouplĂ© au recul trop fort des armes, faire tomber UN robot devient un effort trop consĂ©quent comparĂ© au plaisir que ça apporte.
RĂ©cemment, le podcast de Plouf et Pseudo sur Max Payne 3 dĂ©crivait Ă quel point les trois jeux de la sĂ©rie avaient su crĂ©er un plaisir constant et sans cesse renouvelĂ© de dĂ©fourailler du gangster en boucle. Je nâĂ©tais pas totalement sĂ»r de la portĂ©e de ces paroles, mais elles prennent tout leur sens ici quand ce contrat nâest pas rempli.
Autre problĂšme, le jeu est touffu: lâaction est souvent difficile Ă suivre, et les compagnons dâarmes ont une fĂącheuse tendance Ă se placer pile-poil sur le chemin des balles entre le joueur et les ennemis, sâoffusqueront dâavoir Ă©tĂ© blessĂ©s, et perdront de lâaffection pour le hĂ©ros. Et quand la foule nâest pas du cĂŽtĂ© du joueur, elle est du cĂŽtĂ© des robots adverses, avec certains combats de boss totalement rocambolesques, tant le joueur est CONSTAMMENT jetĂ© Ă terre par les attaques ennemies, rendant presque impossible toute contre-attaque.
Les boss dâailleurs deviennent vite des puzzles mal branlĂ©s. Celui de lâAraignĂ©e en particulier, bien que trĂšs fun, devient vite improbable. Il faut tirer au lance-roquettes dans les (douze) pattes de lâaraignĂ©e pour dĂ©truire le blindage de chacun, puis tirer Ă nouveau pour dĂ©truire la jambe, soit un minimum de 24 roquettes (si vous ne ratez jamais ces jambes en mouvement constant), quâil faudra recharger autour du champ de bataille, tandis que les alliĂ©s seront inutiles (Ă part pour dĂ©truire les drones qui passent par lĂ et portaient justement des roquettes que vous pourrez ramasser), et que le boss vous bombardera constamment de missiles qui vous mettront Ă terre.
Câest franchement pas plaisant, et parfois on se demande si lâon a le moindre impact sur le boss du momentâŠ
Production en dents de si
On ne peut pas dire que le jeu soit mal foutu, loin de lĂ . MĂȘme sâil y a des problĂšmes dâĂ©quilibrage, ou que certaines arĂšnes ont lâair peur inspirĂ©es, le jeu est globalement trĂšs beau, offre de la diversitĂ© dans ses environnements2 et ses gameplays, et essaye des systĂšmes novateurs (mais pas trĂšs bien maĂźtrisĂ©s). MĂȘme sâil nâa pas la maĂźtrise que lâon attendrait dâun mastodonte du genre comme Gears of War, il reste un produit fait avec conscience et passion. Fait Ă©trange: cela sâapplique aussi au doublage français, qui propose un gĂ©nĂ©ral amĂ©ricain au doublage marseillais quâon croirait issu de Plus belle la vie et digne dâun oscar mais totalement pas Ă sa place ici. Les autres doublages français alternent entre le âJe lis mes lignes sans contexteâ et âOn est dans un blockbuster amĂ©ricain et vous allez le sentirâ.
Si en 2025 le jeu nâa rien de rĂ©volutionnaire, il avait peut-ĂȘtre plus dâintĂ©rĂȘt Ă sa sortie. Aujourdâhui, il reste une tentative Ă©trange, dont certains Ă©lĂ©ments se retrouveront plus tard dans la sĂ©rie Yakuza3, mais un divertissement trĂšs sympathique pour une dizaine dâheures.
Le niveau dans le mĂ©tro aĂ©rien est trĂšs sympa, jâen garde un bon souvenir. ↩︎
Les niveaux de poursuites en voiture sont tellement similaires Ă ceux de Yakuza 0 et Yakuza Kiwami que pendant un temps, jâai inversĂ© lâordre dâinspiration entre les deux. ↩︎
