đ When Breath Becomes Air
Il y a 20 ans, installĂ© Ă Paris depuis un an, jâavais eu une aventure dĂ©sinvolte qui avait menĂ© Ă une attente de six semaines pour me faire, les TRODs1 nâĂ©tant pas disponibles Ă lâĂ©poque. Au cours dâune attente qui me parĂ»t trĂšs longue, jâavais fait part de mes inquiĂ©tudes Ă une amie plus ĂągĂ©e, craignant dĂ©jĂ quâun test aussi âsimpleâ puisse signaler la fin de mon existence. Mon amie mâavait alors rĂ©pondu, avec beaucoup de pĂ©dagogie:
âOui, comme un adulte qui dĂ©couvre Ă trente-cinq ans quâil a le cancer.â
Au final, jâai passĂ© les 27 ans2, les 293, jâai eu 334 ans, et mĂȘme 35 ans, et malgrĂ© que jâaie Ă©tĂ© fumeur dix ans, mes poumons sont en super Ă©tat, et mon dermatologue me confirme chaque annĂ©e que je suis loin dâavoir un cancer de la peau.
En 2013, Ă 36 ans, Paul Kalanithi dĂ©couvre quâil est atteint dâun cancer de stade IV. Il est sur le point de terminer des Ă©tudes en neurosciences: alors il sait que ses jours sont comptĂ©s, et que ce livre ne sera pas publiĂ© de son vivant.
Le rapport Ă la mort
En deux parties, ce livre sĂ©pare la vie de lâauteur en une vie âavantâ et et une vie âaprĂšsâ le diagnostic. Dans chacune des deux, il se livre sans fard et se dĂ©voile au lecteur, dans ses projets, ses espoirs, ses craintes, et comment un simple diagnostic peut Ă©branler tous les plans dâune vie.
En deux-cent pages, et trois auteurs (lâavant-propos est par un ami qui lâavait aidĂ© Ă faire publier le livre, tandis que lâĂ©pilogue est Ă©crit par sa femme aprĂšs la mort de Paul), ce livre sait parler autant de la vie que de la mort, une dualitĂ© que jâai toujours apprĂ©ciĂ© voir en littĂ©rature. La seule existence de ce livre vient encore Ă le rappeler: Paul est mort, mais cette mort ne lâa pas renvoyĂ© au nĂ©ant qui prĂ©cĂ©dait son existence5, et sa fille grandit aujourdâhui.
Memento Mori
Bien Ă©videmment, il est impossible de lire ce livre sans penser Ă sa propre mort, et la peur quâelle inspire.
Ces derniĂšres annĂ©es, je pense Ă la mienne Ă chaque fois que me vient lâidĂ©e que je puisse monter Ă bord dâun avion. Un travail psychiatrique consciencieux mâa vite permis de dĂ©celer que cette peur nâexistait que pour bloquer lâexpression dâune autre peur tapie plus profondĂ©ment en moi. Les travaux rĂ©cents mâont permis de comprendre des parties de celle-ci: peur de ne âpas ⊠assezâ. Et comment ne pourrais-je pas ressentir cela, en voyant quâun homme au talent et Ă la science indĂ©niable ait dĂ» quitter cette terre, tandis que mon existence Ă moi ne sauvera pas autant dâexistences que lui ait pu en si peu dâannĂ©es?
Alors, je me repose sur ce dialogue, issu dâun de mes auteurs favoris:
_Jâai vĂ©cu quinze mille ans. Pas si mal. Pas mal du tout, hein? Jâaurai eu une longue vie?
_Tu lâas eue comme les autres, Bernie. Tu as eu une vie. Ni moins. Ni plus. Tu as eu ta vie.â The Sandman: Brief Lives, de Neil Gaiman, traduction française par GeneviĂšve Coulomb
Le terme âTRODâ est un abus de langage pour spĂ©cifiquement dĂ©signer les Tests rapides dâorientation diagnostique de lâinfection par les VIH. Saviez-vous que le 1er DĂ©cembre est la JournĂ©e mondiale de lutte contre le VIH/sida? ↩︎
Le terme existence, du latin existo, indique que lâexistence est une âsortieâ, comme une entrĂ©e dans un monde fait de choses. ↩︎