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🎼 Ryuu Ga Gotoku: Ishin!

Il y a un “effet papillon” dans ma vie qui tient Ă  l’animation japonaise. Pas le Club DorothĂ©e, ni mĂȘme d’avoir vu le premier film Macross sur VHS, mais quelques annĂ©es plus tard, d’avoir dĂ©couvert mes trois premiers animĂ©s en ligne: le film inspirĂ© du manga X du collectif Clamp1, les OAVs2 inspirĂ©es du manga Ah My Goddess, mais surtout les OAVs inspirĂ©es du manga Kenshin le Vagabond. Par un hasard incertain, au sortir du collĂšge, ces trois oeuvres, vues dans une qualitĂ© vidĂ©o dĂ©plorable, m’ont inspirĂ© Ă  moi-mĂȘme apprendre le Japonais, une langue que je parle encore Ă  ce jour.

Dans cette derniĂšre oeuvre, c’est le passĂ© du hĂ©ros titulaire qui est adaptĂ©, alors qu’il participait aux Ă©vĂšnements historiques du Bakumatsu, aux cĂŽtĂ©s des loyalistes, en opposition aux forces du Shogunat Tokugawa, et notamment du Shinsengumi, le corps d’élite responsable de la sĂ©curitĂ© de Kyoto, capitale de l’époque. S’ils sont les adversaires de Kenshin, le temps de quelques scĂšnes de combat trĂšs bien animĂ©es, leur uniforme, un haori bleu frappĂ© du caractĂšre èȘ Makoto, signifiant “SincĂ©ritĂ©â€, et les bandes montagneuses blanches sur leurs manches, ont ancrĂ© en moi une certaine fascination.

Ainsi, quelques annĂ©es plus tard, alors que je demandais Ă  ma professeure de Japonais s’il Ă©tait possible de se procurer un kimono du Shinsengumi, celle-ci me rĂ©torqua, outrĂ©e: “Mais enfin, pourquoi!? Le Shinsengumi, c’étaient les mĂ©chants!”. Et moi de rĂ©pondre: “Oui mais leur kimono est tellement classe”.

Tout ça pour en arriver Ă  ce spin-off de la sĂ©rie Yakuza (de son nom original: Ryu Ga Gotoku), paru juste avant l’épisode ZĂ©ro, exclusif en Occident jusqu’à son remake en 2023, et se dĂ©roulant lors du Bakumatsu, entre 1867 et 1868.

Yakuza’s Creed: Kyo

Lors de la toute premiĂšre scĂšne cinĂ©matique du jeu, en vue Ă  la premiĂšre personne, on dĂ©couvre Majima, ou plutĂŽt un personnage ayant ses traits, en uniforme du Shinsengumi sali par le sang, attendre le joueur, aux abords de l’auberge Omiya, le 10 dĂ©cembre 1867. D’autres lieutenants du corps les rejoignent, et l’attaque est lancĂ©e afin de mener Ă  bien l’assassinat. Ceux qui connaissent Ă  peu prĂšs l’histoire du Japon s’attendent Ă  ce qui vient, et en effet: au dernier Ă©tage de l’auberge, Sakamoto Ryƍma est assassinĂ© et son sang vient recouvrir les lames du joueur, tandis qu’une autre prĂ©sence s’adresse alors Ă  ce dernier, que la camĂ©ra vient rĂ©vĂ©ler, de son apparence et de son nom: portant un haori du Shinsengumi, Kiryu est dĂ©sormais
Sakamoto Ryoma.

Une introduction dĂ©routante, presque confuse au premier abord. Le propos le devient encore plus lorsque le jeu fait un petit bond de quelques mois dans le passĂ© pour nous prĂ©senter Ryoma et ses alliĂ©s, dans le domaine de Tosa, avant que les pĂ©ripĂ©ties ne le mĂšnent Ă  la capitale de Kyo (future Kyoto), oĂč il rejoindra le Shinsengumi sous le nom de Saito Hajime, encore un nom que les fans du manga Kenshin connaissent bien.

Au-delĂ  de cette idĂ©e narrative Ă  la fois folle et brillante, le jeu est surprenant quant Ă  son utilisation de l’Histoire. Par exemple, l’une des toutes premiĂšres sous-quĂȘtes concerne un certain Natsume Sosaku, clairement inspirĂ© de Natsume Sƍseki, et Ryoma/Hajime pourra l’inspirer pour ses livres les plus connus.

Si ce clin d’oeil historique est le plus facile Ă  repĂ©rer pour un occidental, il est aussi le plus mal foutu du jeu, Ă©tant donnĂ© que l’auteur n’est encore qu’un bĂ©bĂ© Ă  cette Ă©poque. Pour tout le reste, c’est bien diffĂ©rent.

Le jeu contient un glossaire “live” qui permet d’interrompre le jeu Ă  tout moment lorsqu’un terme ancien est employĂ©3. Malheureusement, il n’y a pas de glossaire permettant de vite se remĂ©morer qui est qui, au milieu de tous ces personnages nommĂ©s, dont une Ă©norme partie sont rĂ©els. On retrouvera donc tous les membres du Shinsengumi, des partisans loyalistes, un ou deux Britanniques, et mĂȘme des femmes qui ont fait l’histoire4.

Tout revient Ă  Kenshin

J’ai donc dĂ©cidĂ© de jouer avec ChatGPT sous la main, lui demandant rĂ©guliĂšrement “Ce type, rĂ©el ou fictif?”, et plus d’une fois, la rĂ©ponse Ă©tait “RĂ©el”, suivi d’un historique du personnage. Ce qui m’a menĂ© Ă  une longue sĂ©ance de rĂ©visions de l’histoire du Japon, et mĂȘme si le jeu employait des raccourcis narratifs (Sakamoto Ryoma et Saito Hajime sont deux personnes bien distinctes), ou compressait une dĂ©cennie d’évĂšnements rĂ©els sur l’annĂ©e qui passe dans le jeu, ceux-ci Ă©taient reproduits avec une certaine fidĂ©litĂ©, si bien que le jeu terminait avec un tĂ©moin de ces Ă©vĂšnements, prenant le pseudonyme de Sakazaki Shiran, un Ă©crivain historique de la pĂ©riode, ramenant tout le propos “fictif” du jeu Ă  “Vous avez assistĂ© Ă  la rĂ©alitĂ©, et l’histoire a peut-ĂȘtre rĂ©sumĂ© les Ă©vĂšnements diffĂ©remment”.

J’adore cette approche, tout comme j’ai adorĂ© pouvoir comparer ce traitement de personnages Ă  celui de l’univers Kenshin, et il Ă©tait toujours plaisant d’y retrouver des liens de personnages ou d’évĂšnements, comme Katsura Kogoro, qui donne Ă  Kenshin ses ordres d’assassinats, et devient ici un alliĂ© de Ryoma, ou l'attaque de l'Ikedaya], qui est aussi sanglante dans le jeu que dans la sĂ©rie animĂ©e.

D’ailleurs, mĂȘme le “Ishin!” du titre, qui signifie “Renouveau”, est celui utilisĂ© pour dĂ©signer le groupe des Ishin shishi, dont le nom apparaĂźt dans le film Kenshin: Requiem pour les Ishin Shishi.

J’ai ressenti un plaisir d’un niveau difficile Ă  dĂ©crire, Ă  chaque fois que je dĂ©couvrais un personnage ou Ă©vĂšnement rĂ©el et que mon cerveau faisait le lien avec ceux de Kenshin, mais aussi avec toutes les autres piĂšces du puzzle de l’Histoire qui se dessinait petit Ă  petit dans ma tĂȘte. Ainsi, il n’y avait pas que l’auberge Ikedaya, ou l’Omiya, mais aussi celle de Teradaya, reproduite avec une fidĂ©litĂ© dĂ©concertante, et dont les Ă©vĂšnements se produisent Ă  peu prĂšs exactement comme dans la rĂ©alitĂ©, le joueur poursuivant “Ryoma”, qui s’enfuit car prĂ©venu par Oryo, sa future femme.

La formule comme des dragons

Clairement, la maniĂšre dont certains Ă©vĂšnements sont reproduits peut paraĂźtre obscure, Ă©tant donnĂ© que dans la rĂ©alitĂ©, Sakamoto Ryoma et Saito Hajime Ă©taient opposĂ©s. Le jeu emploie des astuces narratrices que je ne pourrais qualifier autrement que de “Yakuza-esques”, lorsque l’on dĂ©couvre qu’un personnage se fait passer pour un autre, qu’une personne morte vit en rĂ©alitĂ© sous un faux nom,
 J’ai l’impression que ce genre de facilitĂ©s scĂ©naristiques est l’apanage de la sĂ©rie, donc j’ai fait avec.

Un autre aspect intĂ©ressant est le “star system” de Yakuza: Ă  la maniĂšre de Osamu Tezuka ou de Leiji Matsumoto qui avaient dĂ©veloppĂ© plusieurs archĂ©types de personnages qu’ils rĂ©utilisaient de maniĂšre rĂ©currentes dans leurs oeuvres, on retrouve ici des personnages (et modĂšles 3D) recyclĂ©s des cinq premiers Ă©pisodes de la sĂ©rie Yakuza, qui viendront tous jouer les rĂŽles de diffĂ©rents personnages historiques, avec donc Kiryu en Ryoma/Saito, Majima dans le rĂŽle d’ Okita Sƍji5, et le reste du cast secondaire distribuĂ© Ă  gauche Ă  droite, parfois de maniĂšre “prĂ©dictive” (comme ce “Donc toi tu Ă©tais un traitre dans Yakuza 1, tu seras un traitre ici”), et parfois de maniĂšre plus surprenante.

Malheureusement, des Ă©lĂ©ments plus indĂ©sirables de la sĂ©rie font aussi leur intrusion, comme par exemple le segment “Another Life”, oĂč l’on retrouvera une Haruka en fille adoptive de Kiryu/Ryoma/Hajime Ă  qui l’on confiera une ferme qui n’aura AUCUN impact sur le scĂ©nario, ou bien diverses amitiĂ©s que l’on pourra nouer avec les habitants du coin, qui ne mĂšneront qu’à “une sous-quĂȘte de plus”.

Si l’histoire principale est particuliĂšrement prenante, encore plus lorsque l’on essaie de lier tous ses Ă©lĂ©ments Ă  la rĂ©alitĂ© des faits, ou Ă  d’autres reprĂ©sentations fictives, clairement, les histoires secondaires, ça devient vite chiant.

Le combat tout en bas

Enfin, dernier point d’un jeu Yakuza: la baston. Elle est malheureusement trĂšs dĂ©cevante dans cet opus. Cette fois, les styles de combat sont “mains nues”, â€œĂ©pĂ©e”, “pistolet”, et “pistolet et Ă©pĂ©e”, chacun ayant ses forces et faiblesses selon les ennemis que l’on affronte. C’est bien trouvĂ©, et chacun a vraiment son propre feeling, mais au bout d’un moment on rĂ©alise qu’ils ne se valent pas tous.

Si l’on pourrait espĂ©rer que les combats se fassent majoritairement Ă  l’épĂ©e, comme c’était Ă  l’époque la coutume, ça ne reste qu’une autre maniĂšre de taper, sans jamais que l’impact des lames ne puisse vraiment mettre fin Ă  un combat, une pratique issue de la sĂ©rie classique, oĂč Kiryu peut dĂ©chainer une violence cartoonesque, sans jamais infliger de blessures fatales Ă  ses adversaires, ce qui en fait un style de combat vite lassant.

Il reste donc le troisiĂšme style: le pistolet. Le vĂ©ritable Ryoma Ă©tant un fervent adepte de cette arme, et l’un des premiers pistoleros japonais, il aurait Ă©tĂ© compliquĂ© qu’il n’en porte pas une en jeu, mais l’implĂ©mentation de cette arme dans le systĂšme de combat du jeu est malheureusement trop permissive


Dans Assassin’s Creed: Rogue, qui se dĂ©roulait Ă  peu prĂšs un siĂšcle plus tĂŽt, le joueur n’a droit qu’à des pistolets Ă  silex (il peut en porter quatre Ă  la fois), Ă  une balle chacun, ce qui permet d’enchaĂźner quatre tirs (mortels) avant d’ĂȘtre obligĂ© de recharger. Un compromis subtil entre l’histoire et le gameplay.

Dans Ryu Ga Gotoku: Ishin!, Ryoma/Hajime, historiquement connu pour avoir portĂ© un Smith & Wesson Model No. 2 Army Ă  six coups, peut utiliser toutes sortes de pistolets, qui ne nĂ©cessitent ni munitions, ni recharge. Vous avez bien lu.

Ainsi, au bout d’un certain moment de farm et d’évolution des armes, le joueur se retrouve avec un pistolet efficace et Ă  la puissance de feu dĂ©sĂ©quilibrĂ©e. À la maniĂšre de cet ami qui avait transformĂ© sa partie de Mirror's Edge, un jeu plutĂŽt pacifiste, en un FPS sanglant lorsqu’il avait dĂ©couvert qu’on pouvait dĂ©sarmer les policiers et utiliser leurs armes, il est ici possible de transformer la partie en un jeu de tir Ă  la troisiĂšme personne, ignorer totalement l’honneur d’affronter les samouraĂŻs “sabre contre sabre”, et taper en boucle le bouton d’attaque pour dĂ©gommer tout ce qui bouge comme une mitrailleuse vivante, ce qui rend vite tout affrontement caduque, Ă©tant donnĂ© que mĂȘme le dernier boss tombera au sol sans offrir la moindre difficultĂ©.

Si une petite erreur de design a totalement dĂ©truit la balance du gameplay de combat, le jeu reste vraiment solide. Si le scĂ©nario commence comme un classique de la saga, avec les habituelles trahisons, et autres “c’était donc toi”, il Ă©volue dans un contexte bien plus grand, celui de l’Histoire avec un grand H, et sait s’y retrouver avec aisance pour quiconque connaĂźt (ou veut dĂ©couvrir) cette pĂ©riode de l’histoire du Japon. Clairement, ce n’est pas au goĂ»t de tout le monde, mais si vous voulez vous y plonger, le bain sera plus qu’agrĂ©able.


  1. J’essaye d’éviter de dire “le film X de Clamp”, mais en rĂ©alitĂ©, tous les fans de cette sĂ©rie urbano-mystico-apocalyptique ont jetĂ© l’éponge et acceptent les regards Ă©tranges des nĂ©ophytes. Et nous acceptons aussi que nous n’en aurons jamais la fin, aprĂšs vingt-cinq ans d’attente. ↩︎

  2. L’OAV (ou OVA), pour “Original Animation Video”, est un produit typique de l’animation japonaise des annĂ©es 90, au modĂšle de distribution similaire au “direct-to-VHS/DVD”, au format similaire Ă  celui d’une sĂ©rie tĂ©lĂ©, et Ă  la qualitĂ© de production se situant entre la sĂ©rie et le film. ↩︎

  3. Ce qui donne des trucs surprenants dans la traduction, car certains mots anciens, pour lesquels un joueur japonais pourrait nĂ©cessiter une explication, ont Ă©tĂ© traduits par des mots courants, rendant donc le glossaire totalement caduque. ↩︎

  4. La place des femmes dans la sĂ©rie Yakuza est un Ă©norme sujet. ↩︎

  5. Ce qui relĂšve encore de la blague historique, Ă©tant donnĂ© que le vĂ©ritable Okita Soji Ă©tait historiquement connu comme un jeune et beau garçon (au point d’avoir dĂ©jĂ  des fans Ă  l’époque), ce qui est aux antipodes de Majima
 ↩︎

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