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📚 Nuit Sur La Ville

“Je noircis plusieurs pages de mon carnet en notant ces informations sur ces quatre suspects. Je n’avais pas l’habitude de me fier Ă  mon intuition mais, dans ce cas prĂ©cis, j’étais persuadĂ© que je ne trouverais pas le coupable parmi eux.”
― Nuit sur la Ville, de Ryo Hara, traduction © Éditions Albin Michel

Un nouvel auteur Japonais, Ă  la saveur toute particuliĂšre. MĂȘme si le Japon suintait de chaque page, entre les lignes, je ne pouvais m’empĂȘcher d’imaginer le prototype du dĂ©tective Noir tel que crĂ©Ă© par Raymond Chandler: le costard, le Fedora, un penchant pour les femmes et l’alcool. En fait, si l’auteur avait soudainement Ă©crit qu’une femme fatale attendait le protagoniste dans son bureau, le rouge rubis de ses lĂšvres aurait percĂ© le noir et blanc de ma liseuse et je n’aurais pas Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© le moins du monde de voir les lois de la physique ainsi brisĂ©es.

L’enfer c’est les autres

Beaucoup de mes conversations rĂ©centes avec ma psychiatre relĂšvent de l’altĂ©ritĂ© et de l’apprĂ©ciation de la condition d’autrui. Lors de mon avant-derniĂšre sĂ©ance, j’ai Ă©voquĂ© un rĂȘve sur une conquĂȘte amoureuse passĂ©e qui avait, presque littĂ©ralement, disparu dans la nature. Mon rĂȘve l’imaginait rĂ©apparaĂźtre dans ma vie, et m’expliquer son absence par la confiscation de son tĂ©lĂ©phone par ses parents1, l’empĂȘchant ainsi de communiquer avec moi. J’ai vite diagnostiquĂ© le sens de ce rĂȘve auprĂšs de ma thĂ©rapeute en employant une cĂ©lĂšbre citation: “Toutes les personnes que vous rencontrez mĂšnent un combat dont vous ignorez l’existence”2, ce qu’elle a apprĂ©ciĂ©, en griffonnant quelques notes, un sourire malicieux aux lĂšvres.

Lors notre entrevue suivante, alors en pleine lecture de ce livre, j’ai eu une Ă©piphanie Ă  peu prĂšs similaire sur mon rapport Ă  autrui: si mes derniĂšres lectures ont commencĂ© Ă  m’ennuyer c’est peut-ĂȘtre qu’elles ne se sont pas assez concentrĂ©es sur ce que j’y cherchais: j’ai Ă  chaque fois Ă©tĂ© face Ă  des crimes et mystĂšres trĂšs bien mis en scĂšnes, dans un conformisme qui frĂŽle l’acadĂ©misme, mais les personnages m’ont parus
simples, comme s’il n’existaient que pour ĂȘtre les pions d’un mystĂšre. En fait, ils n’étaient pas des personnages qui gravitent autour d’un mystĂšre, mais des personnages Ă©crits pour coller Ă  l’intrigue.

Rien de tout cela ici. Il y a BEAUCOUP de personnages, parfois trop, et avoir pris une semaine de pause dans ma lecture m’a parfois perdu sur le rĂŽle et l’implication de certains, mais tous ont des caractĂšres trĂšs diffĂ©rents, des relations qui se reposent sur plus que ce que le lecteur est autorisĂ© Ă  dĂ©couvrir, et on sent le poids de leur existence.

Noir c’est noir

Mais le vrai plus de ce livre, c’est son ambiance. Clairement, toutes les reviews, rĂ©sumĂ©s, pubs, etc.. l’avaient annoncĂ© et n’ont pas menti sur la marchandise: on est dans du Noir de la plus pure tradition, avec en premier plan un dĂ©tective qu’on pourrait presque qualifier de ratĂ©, pas vraiment dans les bons papiers des flics, ni des criminels, ses propres mĂ©thodes un peu en dehors des clous et son franc parler bourru, mais son sens moral droit, fort, et incorruptible, qui lui permet de se dĂ©pĂȘtrer du panier de crabes (et de mensonges) oĂč l’enquĂȘte du jour le mĂšne.

En fait, jusqu’à la moitiĂ© du livre, ni le protagoniste ni le lecteur n’ont une idĂ©e claire de ce qui se passe, et chaque personnage croisĂ© laisse planer une aura de mystĂšre trĂšs prĂ©gnante au point que l’on se demande, comme notre hĂ©ros, qui cherchera Ă  nous trahir en premier, et qui a embauchĂ© cet homme de main louche qui nous file le train depuis dĂ©jĂ  une douzaine de pages


Ce livre est le premier d’une sĂ©rie de cinq, tous dĂ©diĂ©s au dĂ©tective Sawazaki, de l’agence Watanabe. MĂȘme si seuls celui-ci et le suivant ont Ă©tĂ© traduits en Français, j’espĂšre renouveler mon plaisir Ă  suivre les enquĂȘtes de ce dĂ©tective fort sympathique.


  1. Pour couper court Ă  toute mauvaise blague: cette personne est majeure et vaccinĂ©e. â†©ïžŽ

  2. La citation est attribuĂ©e Ă  Platon, mais il semblerait que cela soit faux↩

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