âJe noircis plusieurs pages de mon carnet en notant ces informations sur ces quatre suspects. Je nâavais pas lâhabitude de me fier Ă mon intuition mais, dans ce cas prĂ©cis, jâĂ©tais persuadĂ© que je ne trouverais pas le coupable parmi eux.â
â Nuit sur la Ville, de Ryo Hara, traduction © Ăditions Albin Michel
Un nouvel auteur Japonais, Ă la saveur toute particuliĂšre. MĂȘme si le Japon suintait de chaque page, entre les lignes, je ne pouvais mâempĂȘcher dâimaginer le prototype du dĂ©tective Noir tel que crĂ©Ă© par Raymond Chandler: le costard, le Fedora, un penchant pour les femmes et lâalcool. En fait, si lâauteur avait soudainement Ă©crit quâune femme fatale attendait le protagoniste dans son bureau, le rouge rubis de ses lĂšvres aurait percĂ© le noir et blanc de ma liseuse et je nâaurais pas Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© le moins du monde de voir les lois de la physique ainsi brisĂ©es.
Lâenfer câest les autres
Beaucoup de mes conversations rĂ©centes avec ma psychiatre relĂšvent de lâaltĂ©ritĂ© et de lâapprĂ©ciation de la condition dâautrui. Lors de mon avant-derniĂšre sĂ©ance, jâai Ă©voquĂ© un rĂȘve sur une conquĂȘte amoureuse passĂ©e qui avait, presque littĂ©ralement, disparu dans la nature. Mon rĂȘve lâimaginait rĂ©apparaĂźtre dans ma vie, et mâexpliquer son absence par la confiscation de son tĂ©lĂ©phone par ses parents1, lâempĂȘchant ainsi de communiquer avec moi. Jâai vite diagnostiquĂ© le sens de ce rĂȘve auprĂšs de ma thĂ©rapeute en employant une cĂ©lĂšbre citation: âToutes les personnes que vous rencontrez mĂšnent un combat dont vous ignorez lâexistenceâ2, ce quâelle a apprĂ©ciĂ©, en griffonnant quelques notes, un sourire malicieux aux lĂšvres.
Lors notre entrevue suivante, alors en pleine lecture de ce livre, jâai eu une Ă©piphanie Ă peu prĂšs similaire sur mon rapport Ă autrui: si mes derniĂšres lectures ont commencĂ© Ă mâennuyer câest peut-ĂȘtre quâelles ne se sont pas assez concentrĂ©es sur ce que jây cherchais: jâai Ă chaque fois Ă©tĂ© face Ă des crimes et mystĂšres trĂšs bien mis en scĂšnes, dans un conformisme qui frĂŽle lâacadĂ©misme, mais les personnages mâont parusâŠsimples, comme sâil nâexistaient que pour ĂȘtre les pions dâun mystĂšre. En fait, ils nâĂ©taient pas des personnages qui gravitent autour dâun mystĂšre, mais des personnages Ă©crits pour coller Ă lâintrigue.
Rien de tout cela ici. Il y a BEAUCOUP de personnages, parfois trop, et avoir pris une semaine de pause dans ma lecture mâa parfois perdu sur le rĂŽle et lâimplication de certains, mais tous ont des caractĂšres trĂšs diffĂ©rents, des relations qui se reposent sur plus que ce que le lecteur est autorisĂ© Ă dĂ©couvrir, et on sent le poids de leur existence.
Noir câest noir
Mais le vrai plus de ce livre, câest son ambiance. Clairement, toutes les reviews, rĂ©sumĂ©s, pubs, etc.. lâavaient annoncĂ© et nâont pas menti sur la marchandise: on est dans du Noir de la plus pure tradition, avec en premier plan un dĂ©tective quâon pourrait presque qualifier de ratĂ©, pas vraiment dans les bons papiers des flics, ni des criminels, ses propres mĂ©thodes un peu en dehors des clous et son franc parler bourru, mais son sens moral droit, fort, et incorruptible, qui lui permet de se dĂ©pĂȘtrer du panier de crabes (et de mensonges) oĂč lâenquĂȘte du jour le mĂšne.
En fait, jusquâĂ la moitiĂ© du livre, ni le protagoniste ni le lecteur nâont une idĂ©e claire de ce qui se passe, et chaque personnage croisĂ© laisse planer une aura de mystĂšre trĂšs prĂ©gnante au point que lâon se demande, comme notre hĂ©ros, qui cherchera Ă nous trahir en premier, et qui a embauchĂ© cet homme de main louche qui nous file le train depuis dĂ©jĂ une douzaine de pagesâŠ
Ce livre est le premier dâune sĂ©rie de cinq, tous dĂ©diĂ©s au dĂ©tective Sawazaki, de lâagence Watanabe. MĂȘme si seuls celui-ci et le suivant ont Ă©tĂ© traduits en Français, jâespĂšre renouveler mon plaisir Ă suivre les enquĂȘtes de ce dĂ©tective fort sympathique.
Pour couper court Ă toute mauvaise blague: cette personne est majeure et vaccinĂ©e. â©ïž
La citation est attribuĂ©e Ă Platon, mais il semblerait que cela soit faux. â©ïž