🎼 Judgment

J’aime beaucoup la sĂ©rie des Yakuza, j’avais fait le premier Ă©pisode sur PS2, puis entamĂ© le second, et j’avais arrĂȘtĂ© Ă  cause de mes TOCs me forçant Ă  faire L’INTÉGRALITÉ des choses, alors que j’avais ratĂ© une heat action1 trĂšs classe. J’hĂ©sitais donc entre reprendre contrĂŽle de Kiryu, le yakuza repenti et Ă©pris de justice, ou repartir de zĂ©ro, sans savoir quoi faire. Depuis, j’ai vu la sĂ©rie se continuer et avancer, sans jamais y revenir


Jusqu’au trailer du spin-off JUDGE EYES, localisĂ© chez nous sous le nom de Judgment. Un trailer assez fou, qui prĂ©sentait toujours le quartier chaud fictif de Kamurocho2, mais cette fois sous les yeux d’un dĂ©tective, promettant des filatures, de l’infiltration, de la baston, toujours autant de mini-jeux, et mĂȘme une scĂšne folle de course-poursuite entre un skateboard et des bagnoles, se terminant sur un kick-flip d’anthologie. Clairement, le spectacle Ă©tait lĂ , et surtout, ce jeu pourrait ĂȘtre apprĂ©ciĂ© sans avoir Ă  rattraper cinq jeux3.

Ainsi, ayant rĂ©cemment fait l’acquisition d’une PlayStation 4, mon second achat4 s’est portĂ© sur ce jeu.

Vis ma vie de Yagami

Pas facile d’ĂȘtre un avocat au Japon: Yagami a beau avoir rĂ©ussi Ă  faire acquitter son client, accusĂ© d’avoir tuĂ© un patient de l’hĂŽpital oĂč il travaillait, que cet abruti dĂ©cide de fĂȘter ça en foutant le feu Ă  sa baraque, butant sa femme au passage. C’en est trop pour l’avocat star, qui rend son badge d’avocat5 et devient dĂ©tective privĂ©. Trois ans plus tard, il se retrouve impliquĂ© dans une affaire Ă©trange de yakuzas retrouvĂ©s morts dans le quartier, les yeux Ă©nucléés.

Suivre Yagami a quelque chose de trĂšs rafraĂźchissant sur beaucoup de points. Si l’histoire tient toujours de yakuzas, on est moins sur des histoires de clans complexes comme cela Ă©tait souvent le cas dans la sĂ©rie classique. CĂŽtĂ© combats, la violence est toujours au rendez-vous, mais de maniĂšre plus calme, Yagami Ă©tant dotĂ© de deux styles de combat: la grue, pour affronter des groupes d’ennemis, et le tigre, pour affronter un seul ennemi avec plus de force, une idĂ©e astucieuse, qui permet de s’éloigner de l’aspect “armoire Ă  glace” de Kiryu, et se rapprocher un peu plus de l’aspect “humain” du personnage. Un aspect renforcĂ© aussi par la capacitĂ© de certaines armes (couteaux ou armes Ă  feu) Ă  infliger des dĂ©gĂąts permanents, qui ne pourront pas ĂȘtre guĂ©ris par l’ingurgitation de boissons Ă©nergĂ©tiques, et nĂ©cessiteront un passage Ă  l’hĂŽpital, ou chez un docteur Ă  peu prĂšs lĂ©gal pour remettre notre hĂ©ros sur pied.

D’ailleurs, le hĂ©ros aura bien Ă  faire avec ses pieds, qui le mĂšneront d’indice en indice au cours des treize chapitres du jeu. Si Kiryu dans Yakuza donnait vraiment l’impression d’ĂȘtre menĂ© par le bout du nez dans son aventure, menĂ© de pĂ©ripĂ©tie en pĂ©ripĂ©tie presque par accident. Ici, mĂȘme si Yagami passe une partie du jeu ballotĂ© par les Ă©vĂ©nements (et les types qui en savent plus que lui), il reste une vraie part de recherche des indices, qui donne beaucoup de consistance (et de variĂ©tĂ©) au scĂ©nario. Dans l’ordre, on va donc: trouver un cadavre dans le placard de Yagami (au sens propre), faire face Ă  la prise de pouvoir d’un sous-commandant dans la famille yakuza d’à cĂŽtĂ©, avoir maille Ă  partir avec des flics aux airs peu fiables, s’infiltrer dans un hĂŽpital, ĂȘtre poursuivi par des “anonymous”, et mener un procĂšs d’opĂ©rette pour dĂ©couvrir qui a bouffĂ© le gĂąteau du cabinet d’avocats oĂč l’on rend service, avec la pose typique de Phoenix Wright qui crie “Objection!” en prime.

Une fin en plein dans les yeux

Enfin, lorsque le jeu arrive dans son arc final, tout se rĂ©unit dans une explosion scĂ©naristique trĂšs plaisante, les responsables sont rĂ©vĂ©lĂ©s, et les confrontations théùtrales s’enchaĂźnent. Sans spoiler, l’adversaire final est affrontĂ© Ă  deux reprises, une premiĂšre “pour la forme”, qui n’a d’autre intĂ©rĂȘt que de montrer les deux combattants enchaĂźner les coups, et une seconde, pour le dĂ©nouement, qui permet de faire la jonction avec le dernier mystĂšre du jeu, ainsi que son titre japonais.

De ce que j’en connais, je n’ai pas la sensation que la saga Yakuza brille vraiment par ses scĂ©narios, plutĂŽt par ses thĂšmes, ses personnages, et son ambiance. Ici, tout brille, et lorsque ce dĂ©nouement arrive, la satisfaction est totale. Si bien que j’ai vite lancĂ© une seconde partie en difficultĂ© “LĂ©gendaire” pour l’obtention d’un trophĂ©e platine.

Un jeu de deux Yagami

Malheureusement, avant la seconde run, il a fallu s’occuper du contenu secondaire. Et si ça a toujours fait partie de l’ADN de la sĂ©rie, j’ai parfois du mal Ă  m’y faire. Comme dans Shenmue avant lui, j’apprĂ©cie trouver des tonnes de mini-jeux, j’adore traĂźner dans les salles d’arcades pour claquer tout mon fric dans des machines Ă  pince, ou des jeux vidĂ©o, et mes derniĂšres secondes dans le post-game se sont passĂ©es Ă  apprendre des techniques indignes d’un ĂȘtre humain pour inscrire mon nom dans les high scores de Puyo Puyo6, et mĂȘme les courses de drones, pour lesquelles j’ai payĂ© le DLC du jeu pour avoir un drone cheatĂ© ayant l’apparence d’une soucoupe volante, m’ont procurĂ© du plaisir.

En revanche, lĂ  oĂč Shenmue arrivait Ă  intĂ©grer tous les ĂȘtres humains de son environnement au scĂ©nario, ici c’est
l’inverse total. Au point que le jeu donne l’impression d’avoir deux fins, dont la disparitĂ© des enjeux donne Ă  l’une l’apparence, pas seulement de “quĂȘtes secondaires”, mais vraiment d’un pĂ©tard mouillĂ©.

Ainsi, le quartier de Kamurocho comporte cinquante personnes qui peuvent dĂ©velopper une amitiĂ© avec Yagami, dont quatre qui pourront devenir sa petite amie7. Certaines de ces personnes sont introduites au cours du scĂ©nario principal, pour le quitter plus tard, tandis que la majoritĂ© seront totalement annexes Ă  l’histoire qui nous intĂ©resse, mais reviendront toutes pour une histoire
je ne sais pas.

Une fois les cinquante amitiĂ©s confirmĂ©es, et toutes les quĂȘtes annexes accomplies, il y a une espĂšce de quĂȘte finale d’une heure, liĂ©e Ă  un gang prĂ©sent uniquement dans les quĂȘtes secondaires8 oĂč TOUTES les amitiĂ©s faites dans les quĂȘtes annexes viendront Ă©pauler Yagami Ă  un moment, ou seront prĂ©sentes dans un grand final Ă  base de “On va se battre pour notre quartier”. Ce qui est malheureusement doublement ridicule.

PremiĂšrement, les amis prĂ©sents dans la quĂȘte principale, Ă  savoir Kaito et Sugiura, sont totalement absents de cette intrigue. Et enfin, cette scĂšne de “bataille dans la ville” s’est malheureusement dĂ©jĂ  produite dix minutes avant la fin du jeu, et aucun des commerçants amis de Yagami ne s’est pointĂ© Ă  ce moment-lĂ . Oui, c’est une question de dissonance ludo-narrative, et il n’est pas forcĂ©ment possible de rĂ©unir les deux, mais Ă  ce moment-lĂ , on a vraiment l’impression que le jeu n’est pas un “tout”, mais deux Ă©lĂ©ments Ă©pars, qui se rencontrent de temps en temps sans vraiment se retrouver.

Carte postale

Un an avant de jouer Ă  ce jeu, j’habitais au Japon, Ă  Shinjuku. Soit Ă  environ cinq cents mĂštres du quartier qui a inspirĂ© Kamurocho et oĂč, tel Yagami, j’ai plus d’une fois bu une biĂšre dans un coin fumeur avant d’aller taper des balles de base-ball au batting center. Si depuis le premier jeu, en 2005, la structure des rues de Kamurocho n’a pas vraiment changĂ©, l’environnement a su Ă©voluer pour toujours reflĂ©ter la rĂ©alitĂ© du quartier qui l’a inspirĂ©, au point que plus d’une fois en me baladant, j’ai retrouvĂ© des ruelles dans lesquelles j’ai pu me poser pour fumer ou swiper sur Tinder.

Toujours Ă  la maniĂšre de Shenmue, qui a vraiment ancrĂ© ce type d’expĂ©rience dans le jeu vidĂ©o, Judgment propose donc la version (pour le moment) la plus amĂ©liorĂ©e de ce quartier virtuel qui reprend totalement un environnement rĂ©el pour en proposer un zeitgeist qui rĂ©sonnera dans tous ceux qui ont pu visiter la zone. Clairement, l’expĂ©rience de ce jeu (et mĂȘme de toute la sĂ©rie) a quelque chose de presque documentaire, tant elle s’attache Ă  prĂ©senter la rĂ©alitĂ© de cet environnement comme une Ă©vidence.

Petite surprise aussi dans la question du fĂ©minisme pour cet Ă©pisode: une sĂ©quence donnera au joueur le contrĂŽle d’un salon de beautĂ© pour relooker la “fille Ă  lunettes” du cabinet d’avocats, afin d’en faire une hĂŽtesse fatale qui ira servir des verres et rĂ©cupĂ©rer des indices. PassĂ© le plaisir pervers du joueur qui peut s’amuser Ă  assouvir tous ses plaisirs de jouer Ă  la poupĂ©e, celui-ci sera mis face aux consĂ©quences de ses actes: la scĂšne suivante lui fera incarner sa “crĂ©ation” en vue Ă  la premiĂšre personne, et le soumettra aux regards, remarques, et sifflets, des passants dans les rues du quartier. Une sĂ©quence trĂšs forte pour remettre le joueur Ă  sa place.

Clairement, ce Yakuza-like ne prend pas trop de risques! Si l’intrigue est bien plus poussĂ©e (ah cette rĂ©vĂ©lation finale, je ne m’en remets pas!), et si l’on se dĂ©tache Ă  peu prĂšs des histoires de familles yakuzas et d’hĂ©ritages, pour le gameplay, on reste vraiment dans les carcans de la sĂ©rie. C’est loin d’ĂȘtre dĂ©plaisant: en quinze ans, la sĂ©rie a su trouver ses marques et se bonifier. Un jeu parfait pour dĂ©couvrir l’univers, donc.


  1. Dans la sĂ©rie des Yakuza, les heat actions sont des actions de combat contextuelles trĂšs cinĂ©matographiques, comme par exemple: â€œĂ©craser la tĂȘte de l’adversaire contre un mur”. ↩︎

  2. Totalement pompĂ© sur le quartier chaud, bien rĂ©el, de Kabukicho. ↩︎

  3. Sept techniquement, vu qu’il m’aurait fallu faire les Ă©pisodes 2 Ă  6, le prĂ©quel (sobrement intitulĂ© “Yakuza 0”), et le spin-off de zombies “Yakuza: Dead Souls”. ↩︎

  4. Bien Ă©videmment, le premier Ă©tait pour Death Stranding. ↩︎

  5. Les joueurs de la saga Ace Attorney le savaient sĂ»rement, mais au Japon, les avocats sont identifiĂ©s par leur badge. ↩︎

  6. La saga Puyo Puyo est une sĂ©rie de jeux de rĂ©flexion similaires Ă  Tetris, mais basĂ©s sur le principe de connecter quatre piĂšces de la mĂȘme couleur, et d’enchaĂźner des combinaisons. ↩︎

  7. De maniĂšre totalement non-exclusive. Il est donc possible pour Yagami d’avoir quatre petites amies, et le jeu n’y trouvera aucun problĂšme, et personne n’y redira rien. ↩︎

  8. Au point que j’ai dĂ» chercher en ligne pour trouver leur nom. ↩︎

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